Mémoire paysanne en bas Poitou

«Mémoire Paysanne en bas Poitou»

C’était hier, il y a cinquante ans, une autre agriculture, un autre mode de vie. Comment vivre décemment en 1960 sur 26 hectares pour une famille de sept personnes dont trois enfants et deux grands-parents ? C’est la diversification des productions animales et végétales qui a permis de relever ce défi en donnant à chaque membre de la famille l’opportunité d’assurer une tâche à la hauteur de ses possibilités et dans l’intérêt de la famille dans sa globalité. Par ces quelques mots, je souhaite témoigner sur mon vécu sur une petite exploitation du bocage en polyculture élevage.

 

L’élevage de lapins était l’affaire de la grand-mère et de la mère de famille. L’alimentation à base de choux, betteraves, trèfle violet et foin principalement, était produite sur l’exploitation. Pour l’engraissement, un apport de céréales était exceptionnellement complété par les tous premiers granulés de luzerne. Ces lapins étaient vendus au marché le lundi matin, sous les halles de Cerizay,  par la mamie qui avait la fibre du commerce pour marchander au meilleur prix. Souvent, je l’accompagnais pour vendre mes pigeonneaux  (entre 800 et 1000 francs anciens, le couple, soit environ 20€ d’aujourd’hui). Pour cette production, j’avais installé un peu partout des cages pour favoriser le développement des couples reproducteurs, et je devais surveiller la croissance des jeunes pour les attraper avant leur envol. Cette production m’assurait de l’argent de poche bienvenu pour mes achats de friandises à l’épicerie de Marguerite MARTIN à Cerizay.

Bien évidemment, nous élevions plusieurs cochons, pour notre consommation, mais aussi pour vendre au charcutier local. Là encore, les aliments sont locaux et distribués par la mère de famille, après cuisson dans la chaudronnée :
pommes de terre, farine d’orge, petit lait, restes de cuisine et topinambours. Les gorets étaient dorlotés et heureux jusqu’au jour où ils embarquaient vers leur destin, mis à part celui qui allait assurer les charcutailles de la famille et devenir l’acteur principal de la fête du cochon. Le tueur de goret entre alors en scène, de préférence un jeudi car nous n’avions pas classe. Il n’était pas question pour les gamins du village de rater cet événement. Je ne m’étendrai pas sur les détails qui méritent à eux seuls un roman, mais je me souviens cependant de ce message de sympathie envers le cochon
« pleure pas grosse bête, tu vas chez Belgy, charcutier à Cerizay ». La panoplie du petit élevage ne serait pas complète sans les poules pondeuses et les tendres poulets de grain particulièrement appréciés. La production de canards d’Inde était précieuse. Il était important de produire sur la ferme des volailles de qualité pour assurer les repas des grands travaux comme la moisson, les batteries, la fenaison, les plantations et le  binage des choux et des betteraves. Ces chantiers mobilisaient une main d’œuvre abondante qu’il fallait nourrir et abreuver, nous y reviendrons plus loin.

Pour compléter cette panoplie de protéines, bien évidemment, nous avions les jardins. Celui de mon grand-père spécialisé dans la production d’asperges, le jardin de mon père pour les légumes courants et j’avais mon petit jardin dans un coin que j’avais dégagé. J’y ai conduit mes premières expériences en botanique et légumes. La production de fruits était assurée par des arbres de plein vent. Les pommiers et certaines variétés de poirier évoluaient librement dans les haies de la ferme. Les autres espèces : cerisiers, pruniers (prunes à gorets) Reine-Claude, mirabelliers, pêchers se retrouvent plutôt dans l’espace jardin. C’est mon grand-père le spécialiste de la greffe des arbres fruitiers, et dès le plus jeune âge, il m’a transmis sa précieuse expérience. C’est ainsi qu’ à l’âge de 10 ans, j’ai assuré le greffage d’une centaine de poiriers sur cognassiers pour créer un verger familial. Les poiriers, pommiers et cerisiers de champ étaient greffés sur des francs sauvages récupérés dans les haies, ou directement greffés sur place. Avec tous ces fruits, nous pouvions faire conserves et confitures pour l’hiver. Les pommes à couteau étaient conservées en silo protégées par de la paille et le reste de la production transformée pour finir en partie dans l’alambic. Nous avions aussi nos noyers et châtaigniers pour la réserve de fruits secs. La production de noisettes et de « mêles » (nèfles) des haies faisaient partie de nos gourmandises. Pour finir la rubrique « fruit » nous exploitions une vigne d’un hectare en commun avec la ferme de notre oncle et voisin. Ha ! Cette vigne, théâtre de la souffrance des durs travaux d’entretien, mais aussi de la fête des vendanges. Nous cultivions 3 cépages Baco Oberlin et Noah. C’est un chantier qui mobilisait les deux familles : la taille par les grands, les femmes et leurs petits ramassaient le sarment pour allumer la cheminée et chauffer le four. Le binage était réalisé avec la jument, les rangs étaient trop étroits pour passer avec les tous premiers tracteurs (Pony, Someca). Pas question de désherbant il fallait décavaillonner la vigne, c’est-à-dire passer un modèle de charrue qui permettait d’arracher l’herbe entre les ceps, sans arracher ces derniers. Un vrai travail d’acrobate parfois fatal à certains pieds de vigne. Et pour finir le nettoyage, le supplice : passer la tranche pour assurer une propreté autour des ceps. Les rares traitements réalisés avec de la bouillie bordelaise étaient la spécialité des hommes. Je n’ai pas souvenir de fertilisation de la vigne, si ce n’est un apport ponctuel de phosphate naturel d’AFN et potasse d’Alsace. Il faut dire que la vigne n’était pas la priorité des travaux agricoles sauf pour mon grand-père et mon oncle qui veillaient à ce que la vendange soit réalisée dans les meilleures conditions.

Mais comment ne pas associer le pain au vin dans notre milieu très catholique. Pendant longtemps mon grand-père a chauffé le four pour assurer la production. La chauffe était assurée avec de la «fournaille», produite l’hiver dans les haies. Notre blé était moulu au moulin de Claveau au Pin. Puis par la suite, c’est le boulanger qui «villageait» et nous déposait les pains de 4 ou 6 livres. Nous lui fournissions du blé, souvent du «capelle»
pour la farine. Les derniers souvenirs du four du village se rattachent à la galette de Pâques aux pruneaux. Chacun apportait alors sa galette à cuire au four du village dont la responsabilité reposait sur le père LOUIS et le Père ALBERT. Voila comment nous étions autonomes pour notre alimentation.

 

Post Author: Didier Dolé