«Mémoire paysanne en bas Poitou (suite 2)» par Jacky Aubineau
Mon premier témoignage dans Le Bulletin Sèvre Environnement (n°66 de mars 2016) montrait comment nous étions autonomes pour notre alimentation, mais c’est avant tout l’activité agricole qui nous permettait de vivre. Notre production du type « polyculture – élevage » nous assurait des rentrées financières pour la vie de la famille. L’essentiel reposait sur la viande, la crème de lait, les céréales, les petites graines de légumineuses (trèfle violet, trèfle incarnat, luzerne, lotier) auxquelles il faut ajouter les produits de la basse-cour et le cochon. Il me semble intéressant de décrire ce modèle d’agriculture qui permettait en 1960 de maintenir 2 UGB (Unité Gros Bovin) à l’hectare,sans faire appel aux pesticides et avec un usage limité d’engrais naturels.
Il me semble intéressant de décrire un modèle d’agriculture qui permettait en 1960 de maintenir 2 UGB à l’hectare sans faire appel aux pesticides et avec un usage limité d’engrais naturels.
La production végétale s’inscrivait dans une stratégie d’assolement long qui répond aux exigences de chaque plante cultivée. Chaque espèce cultivée profite de la précédente et assure le devenir de la récolte future. C’est une grande connaissance (ou plutôt une longue expérience) en agronomie qui a permis aux paysans de cette moitié du XXème siècle de développer une telle complexité d’assolement qui s’étale sur 6 à 8 ans. La tête d’assolement est le choux fourrager. Pour produire le plant, une chelonnière(1) est mise en place dès le printemps. Pour fertiliser le sol, un important apport de fumier est réalisé car le choux a besoin d’une terre riche en humus et en souffre. Le fumier est épandu à la main, puis après le labour, un guéret est préparé avec rouleau, herse et cultivateur. Les plants sont arrachés à la main, et replantés à la planteuse. Ce chantier mobilise toute la famille pour arracher les plants, les préparer en coupant les feuilles et le bout des racines et les maintenir humides. Sur la planteuse, les enfants préparent des poignées de choux qui sont données au planteur.
Par la suite, le désherbage est mécanique et réalisé avec une bineuse tirée par un cheval, et nous avons tous nos souvenirs de gamins chargés de conduire l’animal de trait. Nous montions à cru, assis sur un simple sac de jute en guise de selle. La sueur du cheval mêlée à l’attaque des taons marquent la mémoire ! Il fallait compléter le binage mécanique par un binage manuel entre les plants, réalisé à la tranche ; les grandes herbes sont arrachées à la main. Il fallait la participation des hommes et enfants pour cette tâche.
La récolte du choux commençait à l’automne par l’effeuillage qui consistait en une récolte journalière des feuilles basses, puis au cœur de l’hiver, la coupe des choux et le ramassage dans des conditions difficiles permettaient la fourniture d’une part de l’alimentation de tous les animaux. En bocage, le choux fourrager a été un aliment de base des élevages, et aussi d’usage fréquent en cuisine. Régulièrement, nous récoltions des yeux qui constituaient la base des réputées et appréciées platées de choux vert au lard de cochon ou à la crème. En sortie d’hiver, les pieds de choux étaient arrachés, secoués et stockés pour servir de combustible, pratique abandonnée avant 1960.
Chez nous, intervenait ensuite le labour de printemps, sans apport de fumier, pour préparer le terrain aux betteraves. Dès que le terrain le permettait, on passait d’abord un coup de cultivateur pour égaliser le terrain et boucher notamment les charots(2) créés l’hiver au cours de la récolte. S’en suivait un labour, puis le terrain était préparé au rouleau et à la herse ; Plusieurs fois on passait un outil à dent pour détruire l’herbe au stade plantule. On appelait cette technique le guéret de printemps. Cette pratique tassait quelque peu le terrain, aussi, avant la plantation nous réalisions un léger labour de surface pour recouper le terrain et préparer ainsi le sol pour planter les betteraves. Les plants étaient produits en pépinière sur un semis qu’il fallait biner délicatement pour éviter la concurrence de l’herbe; le désherbant chimique est apparu plus tard. Le repiquage des betteraves mobilisait toute la famille, il régnait une ambiance laborieuse sur le chantier. Les plants étaient arrachés par les plus lestes des hommes et les enfants les plus âgés. Une fois arrachés, les jeunes betteraves étaient arrangées, c’est-à-dire triées, feuilles et racines écourtées, puis elles étaient mises en poignées pour être trempées dans l’eau avant le départ pour la plantation. Je me souviens aussi que les plus petits des enfants avaient leurs occupations. En effet, notre oncle coupait des branches de cerisiers sauvages chargées de magnifiques merises, et nous nous gavions comme des merles de ces merveilleux fruits sauvages gorgés d’un jus rouge-sang qui nous barbouillait les babines. Cette anecdote permet de situer les plantations au temps des cerises.
Au cours des après-midi de plantation, l’équipe des planteurs faisait une pause pour déguster le gouter parfois agrémenté du miget(3) quand il faisait chaud, mais aussi pour se désaltérer. Nous n’avions pas de glacière, les bouteilles étaient conservées dans des chiffons humides ou mises à la fontaine ou au point d’eau le plus proche.
Dans les semaines qui suivaient la plantation, il fallait repasser le carré de betteraves pour remplacer les plants qui n’avaient pas repris. Le piquage se faisait alors avec un plantoir appelé « fiche ». Comme pour les choux, le binage avec le cheval et le passage de la tranche entre les plants étaient essentiels pour maintenir la parcelle propre, ce qui garantissait une récolte correcte.
Au mois d’octobre, les betteraves étaient étêtées à la serpette ou avec un outil à lames réalisé par le forgeron local. Les têtes servaient d’alimentation aux bovins engraissés à l’auge, en complément de la farine d’orge, mais aussi souvent avec un foin de trèfle et chaume, riche en cellulose pour compenser la teneur en eau du fourrage et limiter les risques de diarrhée des animaux.
Dès que les betteraves étaient récoltées, le terrain était labouré pour la mise en place d’un semis de blé d’automne. On utilisait seulement la herse afin de conserver des mottes pour éviter le plaquage et le lessivage du sol. Au cours des hivers rigoureux, les aspérités du sol contribuaient à protéger les semis contre le gel.