Mémoire paysanne en bas Poitou (suite 3)

«Mémoire Paysanne en bas Poitou (suite 3)» par Jacky Aubineau

Vers 1960, la culture des céréales tenait une place primordiale dans l’exploitation bocagère. Le souvenir des pénuries alimentaires d’après guerre est encore bien présent dans la mémoire populaire. On cultive des céréales pour produire une farine destinée à la confection du pain nourricier qui est la base de l’alimentation en milieu rural. Les variétés cultivées sont panifiables comme le maître Pierre, le Capel, l’étoile de Choisy. Le seigle est produit également pour faire le pain. Mais on n’oublie pas les céréales destinées à l’alimentation des animaux de la ferme, comme l’orge et le méteil qui est un mélange de blé et d’avoine noire.


 

Les semis sont le plus souvent réalisés en automne, bien que certains semis ont lieu au printemps, comme l’orge ou l’avoine de printemps semés derrière choux et colza en association avec une prairie de trèfle, lotier ou luzerne. Quand les blés d’automne gèlent, des blés de printemps sont semés pour sauver la récolte. Sur certaines fermes, on cultive parfois du millet ou du sarrasin pour la confection de desserts ou de galettes.

Et voici venu le temps des moissons qui est un moment fort du calendrier des activités agricoles de fin juin au 14 juillet. C’est l’expérience du paysan qui va déclencher la métive. Le blé doit faire le « cou de  jers », c’est-à-dire se recourber vers le sol à la manière d’un jars qui marque son territoire. A ce stade le grain est pâteux, il n’est donc pas mûr contrairement à nos récoltes actuelles. La récolte commence par le détourage du champ, car il faut faire un passage pour la moissonneuse-lieuse, c’est « la passée » qui permet la circulation des animaux de trait, bœufs et chevaux, chargés de trainer la machine.

Pour faire ce passage, on coupe la récolte avec un traquenard, sorte de faux équipée d’un râteau, ou à l’appareil, faucheuse équipée pour faire des brassées. Dans les deux cas, la récolte est regroupée en gerbes liées à la main, soit avec de la corde de sisal ou souvent avec un lien en paille de seigle.  La lieuse peut alors entrer en action, guidée par le pilote qui assure la conduite de l’attelage, et un assistant qui est assis au-dessus de la coupe pour surveiller le bon fonctionnement des lames et surtout pour dégager les bouchons de paille qui pourraient bloquer les engrenages, pour cela, il s’aide d’un aiguillon, sorte de longue gaule en châtaignier .Un soin particulier était consacré à l’entretien de la machine et tout particulièrement au graissage des nombreux mécanismes moteurs ainsi qu’à l’aiguisage des sections des lames.

Les gerbes sont éjectées sur le champ; elles doivent être regroupées en tas sur le champ pour atteindre la maturité. Deux techniques sont mises en œuvre: le gerbier en croix ou le « quintia » debout (ci-dessous), suivant la variété de céréale ou le taux d’humidité de la récolte (cas d’un blé en couvert d’un trèfle).

Les métives étaient un formidable terrain de jeu pour les enfants du village. Encouragés par les anciens, notre principale activité était de courir après les lapins qui s’échappaient du champ notamment en fin de chantier. Il nous arrivait parfois d’assurer le civet en cette période estivale, mais il faut bien reconnaitre que les garennes étaient fréquemment les plus rapides. Et pour nous réconforter, nous avions bien besoin du goûter et des boissons fraiches partagés avec les moissonneurs à l’ombre dans la chaintre (1) du champ.

Le charroi des gerbes est réalisé après 8 à 15 jours de séchage au champ. La charrette est chargée à la main avec beaucoup de soins car il faut éviter que le chargement tombe en route sur les chemins bien souvent cahoteux. C’était donc un poste d’expérience à haute responsabilité. Les gerbes sont chargées et approchées à l’aide d’une grande fourche à trois cornes

Les gamins sont toujours présents et ils ont une mission essentielle qui est d’éliminer les campagnols qui ont colonisé les gerbiers. Bien souvent notre compagnon le chien partageait notre escapade avec frénésie.

Dans l’attente des batteries, les gerbes sont stockées sur un espace à proximité de la ferme, c’est l’aire qui a été soigneusement grattée et balayée pour recevoir la précieuse récolte qui va attendre le grand chantier des battages qui aura lieu de fin juillet à la fin août.

Le chantier s’organisait sur le principe de l’échange de services, nous allions battre les uns chez les autres, et il fallait rendre la journée de travail.

Sur la ferme, le jour de la batterie mobilisait au moins 30 travailleurs et c’est autant de journées qu’il fallait assurer dans les autres exploitations. Selon les années, nous étions donc mobilisés tout le mois d’août. J’ai eu la chance de participer, alors adolescent, aux deux dernières campagnes de battage en 1965 et 1966 et j’en garde d’excellents souvenirs.

Ainsi vont les saisons, mais il n’y a pas de batterie sans semailles et pas de pain nourricier sans de vrais paysans amoureux de leur paysage et de leur terre.

 

Le temps des moissons est un moment fort

du calendrier des activités agricoles.

 

 

Post Author: Didier Dolé