«Espèces exotiques envahissantes » par Roland Blandin
La bonne santé des écosystèmes (ensemble du vivant et interrelations dans un milieu donné) est très sensible à la qualité du milieu et subit des dégradations plus ou moins rapides en présence de pollution. L’introduction d’espèces exogènes dans un milieu peut provoquer rapidement des dégâts tout aussi importants. C’est particulièrement frappant, lorsque des espèces exotiques s’introduisent dans les milieux aquatiques et deviennent rapidement envahissantes. La majorité de ces introductions résulte d’activités humaines. Elles peuvent être accidentelles ou volontaires, mais généralement, les auteurs ne mesurent pas les conséquences de leurs actes. Depuis une vingtaine d’année, des plantes exotiques se sont dispersées sur le territoire métropolitain, entraînant des dommages à la biodiversité locale et perturbant les usages des écosystèmes..
L’introduction de plantesexogènes dans un milieu
peut provoquer des dégâts importants.
Jussie Ludwigia grandiflora
En Europe, coût des espèces envahissantes en 2008 :
12 Milliards d’euros
.Où en sommes-nous?
Dans les milieux aquatiques de France métropolitaine, 38% des espèces végétales exotiques ont été introduites dans un objectif ornemental innovant, souvent utilisées en aquariophilie. Pour ce qui est des poissons d’eau douce exotiques présents en France, l’introduction a été faite pour la pêche de loisir. En eau de mer, le phénomène est encore plus important et provient des eaux de ballast des bateaux. Ces eaux ont une fonction de lest sur les navires se déplaçant à vide lors de parcours transocéaniques. Au niveau de la planète, on estime que de 3 à 4000 espèces voyagent quotidiennement par ce biais.
Toutes les espèces délocalisées par l’homme ne deviennent pas toujours envahissantes, car elles doivent faire face à de nouvelles conditions climatiques, milieux de reproduction, attaques de prédateurs nouveaux…Lorsqu’elles réussissent à s’implanter elles peuvent avoir des impacts négatifs, aussi bien sur l’écologie que sur l’économie locale. En 2008, le coût des espèces envahissantes en Europe a té estimé à au moins 12 milliards d’euros.
Impacts des espèces exotiques
Ils se situent dans 3 domaines :
Ecologie. Les espèces exotiques entrent en compétition avec les espèces indigènes et peuvent les faire disparaître et altérer le fonctionnement de l’écosystème local. Par exemple, des plantes exotiques aquatiques envahissantes modifient le fonctionnement des habitats colonisés, agissant indirectement sur la faune (poissons, invertébrés, oiseaux, mammifères) et la flore locale. Ces plantes ont souvent une aptitude à développer des herbiers denses et une biomasse élevée, ce qui a pour conséquence d’altérer les conditions physicochimiques des eaux (oxygénation et pH).
La jussie (Ludwigia grandiflora), originaire des régions tropicales, a été introduite en France au XIXe siècle à des fins ornementales. Elle colonise progressivement tous les plans d’eau calme ou berges à courants lents de plusieurs vastes secteurs géographiques, et on la trouve localement sur des cours d’eau épisodiquement rapide, (comme sur certaines berges de la Loire). La plante se multiplie rapidement et envahit totalement la zone aquatique disponible, captant à son seul profit toute la lumière, consommant les ressources et interdisant par sa densité subaquatique tout déplacement de petits organismes (poisson, poule d’eau, etc.) au point d’éliminer totalement toute autre espèce de flore et une grande partie de la faune. Elle est aussi source de nuisances pour la pêche et la navigation, colmatant des prises d’eau, envahissant des zones de baignade, débarcadères, etc… Plusieurs tentatives d’éradication ont été faites (même avec des desherbants !!!). La méthode la plus correcte est l’arrachage qui permet de maîtriser l’invasion à condition de le prolonger sur plusieurs années.
Sanitaire. Les espèces exotiques peuvent introduire des pathogènes ou des hôtes contaminés dangereux pour les plantes, les animaux et l’homme. Dans notre n°68 de septembre dernier nous avons analysé la leptospirose dont la principale source est le myocastor (ragondin) introduit dans notre région dans les années 1980 ou encore l’écrevisse américaine porteuse saine d’une maladie décimant notre écrevisse à pattes blanches. L’introduction involontaire d’un petit papillon a mis en péril les buis de nos jardins sur l’ensemble du territoire métropolitain. Un autre exemple : l’ambroisie, plante produisant des pollens très allergisants, introduite en Europe à la fin du XIXe siècle dans des sacs de grains provenant du Canada.
Economie. Le ragondin est aussi à l’origine de de dommages importants. Les terriers qu’il creuse déstabilisent les berges et les digues dont les coûts de restauration et les campagnes d’éradication peuvent s’élever à plusieurs millions d’euros sur quelques milliers d’hectares. N’oublions pas le doryphore, ravageur des pommes de terre, arrivé en 1917 avec les équipements des troupes américaines qui ont débarqué à Bordeaux pour rejoindre ensuite le front de l’est. En quelques années, le doryphore a franchi la barrière de dispersion à grande échelle dans tout l’ouest de la France provoquant des famines.
Tout récemment le frelon asiatique est arrivé chez nous dans des pots en céramique en provenance de Chine. En quelques années il s’est acclimaté rapidement et représente une véritable invasion dans l’ouest. Les conséquences de cet insecte, qui n’a pas de prédateur chez nous, sont dramatiques pour l’apiculture et la pollinisation des cultures et arbres fruitiers.
Le processus d’invasion
Toute espèce exotique envahissante suit le même schéma de colonisation des milieux, aussi bien aquatiques que terrestres.
La barrière géographique
La colonisation commence toujours par le transport (volontaire ou involontaire) qui permet de franchir la barrière géographique. C’est à ce stade que l’on parle d’espèces exotiques. Toutefois, toutes les espèces transportées ne survivent pas soit au transport, soit au milieu récepteur; dans ce cas, le processus d’invasion est stoppé.
La barrière environnementale
C’est le fait que l’espèce exotique arrive à s’adapter, avec plus ou moins de difficultés, au milieu récepteur. A ce stade, on parle d’espèce exotique introduite. Toutes les espèces introduites ne parviennent pas à s’établir dans le milieu récepteur. On parle donc d’espèces non naturalisées, ce qui stoppe aussi l’invasion.
La barrière reproductive
Une espèce introduite va s’établir et commencer son cycle de reproduction. On parle alors d’espèce exotique naturalisée. Certaines d’entre elles ne se dispersent pas de façon importante car elles rentrent en compétition avec des espèces locales qui défendent leur pré-carré limitant voire stoppant le processus d’invasion.
La barrière de dispersion
Après avoir franchi la barrière reproductive et gagné la compétition avec nos espèces locales, l’espèce exotique naturalisée va pouvoir se disperser à grande échelle avec un impact fort sur le milieu. Cette espèce devient alors une espèce exotique envahissante qui colonisera dans un premier temps les alentours immédiats de son site d’implantation, pour ensuite coloniser toute une région, voire tout un pays jusqu’à trouver un milieu hostile stoppant sa progression. L’hostilité du milieu pourra avoir différentes origines. Par exemple, des caractéristiques physicochimiques du milieu (pH, température, hygrométrie, pluviométrie…) constituent une barrière environnementale. Ou encore, la rencontre d’un prédateur sur le nouveau milieu colonisé met un frein à sa naturalisation.
Les démarches de protection
La meilleure des protections, consiste à ne pas introduire chez nous des espèces exotiques. La majorité des invasions résulte des activités et des modes de consommation des humains. Que chacun de nous soit donc vigilant pour ne pas être à l’origine d’une invasion.
Dans les années 1980 tous les enfants de France voulaient posséder ces gentilles petites tortue de Floride. Quand elles n’ont pas succombé aux tortures des gamins elles ont grandi, tant et si bien qu’elles ne tenaient plus dans leur bocal, Les enfants aussi ont grandi, et pensant bien faire, leur ont rendu leur liberté dans les rivières de France. Elles ont franchi toutes les barrières que nous venons de voir et sont devenues des super prédateurs pour la faune aquatique de nos rivières. Aujourd’hui, cette espèce est classée « exotique invasive », sa vente, ainsi que son transport et sa détention, sont interdits, mais elles sont toujours encore présentes dans nos rivières. Les circuits commerciaux ne vendent évidemment plus de petites tortues de Floride, mais ils ont lancé la mode des NACs (nouveaux animaux de compagnie). Attention ! : nouveaux dangers publics avec les reptiles, iguanes, blattes mexicaines, tortues serpentines, gerbilles, etc…:
A l’échelon national, la politique sur le sujet est partagée entre les ministères chargés de l’écologie, de l’agriculture et de la santé. Ils ont la responsabilité d’élaborer une stratégie nationale respectant la réglementation européenne. Des actions et stratégies territoriales ont vu le jour depuis 2000; elles ont permis d’apporter des réponses aux besoins de coordination et de hiérarchisation des actions sur le terrain à diverses échelles. Néanmoins, n’oublions pas qu’il ne suffit pas de fermer nos frontières, c’est notre continent qu’il faut protéger.
La législation internationale
Au niveau international, des conventions fournissent aux Etats signataires les lignes directrices pour la prévention des introductions d’espèces et la gestion des espèces invasives installées. La France a signé un plan stratégique 2011-2020 nous incitant à agir pour atteindre le bon état d’ici 2020.
A l’échelon européen, la Convention de Berne a permis de formuler des recommandations, et fait émerger une stratégie européenne qu’il nous incombe de suivre. Ce règlement est entré en vigueur le 1er janvier 2015, permettant une harmonisation de la législation dans tous les pays de la Communauté Européenne, et s’articule autour d’une liste d’espèces exotiques envahissantes préoccupantes. A partir de cette liste, différents types d’interventions seront prévus pour limiter leur dissémination.