Une nouvelle mémoire paysanne en Bas-Poitou

«Une nouvelle mémoire paysanne en Bas-Poitou » par Jean Saint Didier

Visite à l’élevage porcin des Grandes Souches  à Mauléon

Depuis mars 2016, dans Le Bulletin de Sèvre Environnement (numéros 66 à 69), Jacky Aubineau témoigne de son vécu, dans les années 1960, sur une petite exploitation du Bocage en polyculture-élevage. Sans nostalgie, Jacky nous montre l’intelligence de la vie agricole de ce temps qui a su se développer en valorisant les atouts dont elle disposait. Le génie de cette agriculture réside dans « la diversification des productions animales et végétales qui a permis de relever ce défi en donnant à chaque membre de la famille l’opportunité d’assurer une tâche à la hauteur de ses possibilités et dans l’intérêt de la famille dans sa globalité. »

Pourquoi s’inquiéter ?

 

 

 

 

Aujourd’hui, le surgissement de la remise en cause du modèle agricole intensif pratiqué depuis cinquante ans met en lumière l’intelligence de cette agriculture d’avant, basée sur l’autonomie de la ferme, l’économie de moyens, la connaissance du milieu naturel, la diversification des productions, l’engagement dans des circuits courts de commercialisation, la valorisation des compétences de chacun et l’insertion dans le territoire local 1.

« Paysan était un mot péjoratif il y a encore quelques années. Il porte aujourd’hui des valeurs fortes : le respect de la biodiversité, la solidarité entre les agriculteurs, l’autonomie des exploitations et l’absence de produits chimiques… Le consommateur y est particulièrement sensible. » 2.

Nous poursuivons notre travail de compréhension de cette agriculture en recueillant ci-après les témoignages de Jean-Marc Rousselot et d’Isabelle Sabiron que Jean-Claude Brianceau, Jacky Aubineau et Roland Blandin ont rencontrés aux Grandes Souches, à Mauléon, en janvier dernier.

Jean-Marc n’a pas connu la période d’avant. Installé en 1990 sur la ferme familiale en association avec ses parents pendant cinq ans. Les haies étaient déjà toutes arrachées ; le cheptel est porté à 60 truies auxquelles s’ajoutent des vaches allaitantes qui ne seront pas reprises lors de la retraite des parents. En 1997, l’effectif atteint 80 truies. Ne disposant que de 23 ha, il dut aménager dès 1990 un élevage hors sol pour s’en sortir : « Mon installation fut classique. » C’est alors que commence une réflexion conduisant à une redéfinition du système dans lequel il œuvrait, favorisée par la création du CIVAM 3 du Haut-Bocage (lieu d’échange de pratiques entre agriculteurs et de remise en cause du modèle dominant de l’agriculture industrielle).

Les vaches allaitantes parties, un bâtiment est libéré. Il sera utilisé pour s’engager sur une nouvelle voie : les caillebotis sont retirés et les porcs sont mis sur la paille ! « Cela marchait bien, les truies se plaisaient bien, mais on ne vendait pas plus cher. Cela ne servait à rien de produire autrement si on vendait dans le même circuit. D’où le lancement de la vente directe en 1998 pour mieux valoriser la viande produite. »

Ce cheminement de vingt-cinq ans aboutit à la situation actuelle, « mais attention ! Ce n’est pas fini. L’exploitation n’est pas encore totalement autonome, mais nous sommes sortis du système industriel sans avoir augmenté la surface de la ferme et en diminuant de moitié le cheptel.»

En 2004, l’effectif est retombé à 50 truies et le mode de production est assez proche du cahier des charges de la production biologique. Alors il a fallu deux ans pour se décider à franchir le pas. L’élevage des Grandes Souches (30 truies actuellement) est finalement sous le label AB (Agriculture Biologique) depuis 2006. Désormais les porcelets sont sevrés à six semaines plutôt que quatre ; ce qui est très bien pour les porcelets mais qui épuise les truies. Des croisements ont été effectués avec la vieille race de porc craonnais pour résoudre ce problème. « C’est une réussite, les truies étant très maternelles. Ces animaux sont plus rustiques, ils supportent des bâtiments moins fermés qu’auparavant, ils s’immunisent tout seuls ».

Les porcs sont abattus à Beaupréau – dans une petite entreprise qui est à l’écoute des éleveurs − à l’âge de six mois (quatre mois et demi à cinq mois en élevage industriel) selon le niveau  de la demande des consommateurs.

200 cochons sont transformés chaque année dont 35 à 40 au laboratoire des Sicaudières labellisé aux normes européennes (ce qui est une condition pour fournir les cantines scolaires telles que celles de Cerizay, Nueil-les-Aubiers et Terves).

La viande est découpée par un professionnel au laboratoire de Saint-Christophe-du-Bois auquel est adjoint un magasin de producteurs ; y sont préparés les pâtés, rillettes et autres saucisses et boudins par exemple. Suit la mise en colis destinés aux divers clients qui ont pu aussi passer commande par courriel. Selon Isabelle, « la difficulté en vente directe est de savoir dire non. Nous disons cela aujourd’hui parce que nous avons le recul de vingt ans de pratique en vente directe. »

Les consommateurs tendent actuellement vers des produits tels que ceux qui sont élevés aux Grandes Souches : la qualité des produits est un atout, de même que le contexte des productions auquel le consommateur est de plus en plus sensible. La zone de chalandise de l’exploitation couvre le Choletais et le Bocage et concerne deux types de clients : les cantines scolaires qui représentent 30% du total de la viande vendue ; les 70% restants sont destinés à la clientèle particulière (vente à l’exploitation, livraison à domicile, vente via les AMAP) 4.

Depuis l’obtention du label bio, les prix de la viande de porc n’ont jamais baissé ; on manque de porc bio et les prix continuent de monter. L’élevage est tributaire du prix de la céréale bio (triticale, épeautre, orge et avoine sont produits sur la ferme). Par ailleurs, il faut savoir que l’alimentation des porcs est constituée à 35% de protéagineux (pois protéagineux, pois fourrager, féverole) dont la production locale est déficitaire. Enfin les effluents de l’élevage sont transformés en fumier composté. L’exploitation produit 120 unités d’azote par hectare, ce qui est excessif (20% sont vendues).

Le constat est fait que la démarche engagée est à la fois bonne pour les éleveurs, saine pour l’environnement de l’exploitation et satisfaisante pour le consommateur. « Cependant cette mono-production porcine me pose question aujourd’hui. Nous achetons trop de céréales à l’extérieur et, en même temps, nous exportons du compost bio ; ce n’est pas logique. Il y a trop d’animaux sur la ferme qui produit trop de matière organique. Il y a encore des choses à faire, diminuer encore le nombre de truies par exemple. Ce que nous avons fait n’est pas un modèle, c’est une adaptation continuelle.» L’exploitation butte sur une réalité avec laquelle elle doit composer : la superficialité des sols qui ne permettent pas de produire les aliments pour les porcs dont elle a besoin. « Avec le système industriel, ce n’était pas durable, soit il fallait trouver des terres, soit il fallait partir ailleurs. D’où le rétropédalage vers un système plus cohérent que nous connaissons aujourd’hui. »

Ce système est d’autant plus cohérent qu’il prend également en charge son devenir ; en effet, la ferme est transmissible compte tenu du capital limité qu’elle met en œuvre, ce qui est rare à ce jour.

 

Le rétropédalage vers un système plus cohérent

que nous connaissons aujourd’hui.

 

Post Author: Didier Dolé