La protection de l’environnement

Au-delà des contradictions, apprendre pour changer

par Jean SAINT-DIDIER

Dans l’éditorial précédent de juin dernier (Bulletin n° 71), Jean-Claude Brianceau rappelait le contexte qui a vu la naissance de Sèvre Environnement. Commentant les actions engagées par notre Association, il soulignait que :
« La problématique écolo-gique dans son ensemble est toujours complexe et, malgré de nombreux efforts, certes pas toujours cohérents, la dégradation de l’en-vironnement va bon train ».

Nous voulons souligner ici un mot dont il convient de saisir finement la signification ;
il s’agit de complexe. L’étymologie révèle son sens premier : « ce qui est tissé ensemble » c’est-à-dire ce qui est relié, inséparablement associé.

La complexité est ce que nous vivons quotidiennement au niveau de notre propre personne, de nos familles, de nos entreprises, de nos villages, de nos sociétés, de nos projets, de la nature et du monde. Cette complexité est tissée d’événements petits et grands, d’actions et de réactions, de hasards et de déterminations, de questions et de réponses et de questions encore sans cesse renouvelées car chaque réponse tentée débouche inéluctablement sur une nouvelle ignorance, sur un nouveau questionnement plus large, plus profond. Il peut y avoir quelque chose de désespérant dans ce tableau décousu qui représente nos vies individuelles et collectives et auquel nous cherchons à tâtons une unité signifiante.

 

Cependant, là n’est pas le pire. A la réflexion, nous pouvons être complètement tourneboulés par la prise de conscience de nos contradictions qui, malgré notre bonne foi et notre bonne volonté, constituent la trame de nos vies alors même que nous souhaitons les orienter vers un horizon tissé de cette cohérence dont nous sommes orphelins.

Quelques exemples :

  • Alors que nous prenons conscience du changement climatique en cours, nous avons du mal à mettre en place les dispositions nécessaires pour y remédier. L’inertie de nos organisations, le confort de nos repères ou la crainte de l’inconnu nous empêchent d’avancer. Toute nouveauté est jugée à l’aune de l’existant plutôt qu’en fonction de l’innovation qu’elle porte et, fatalement, elle est ignorée, au mieux incomprise, souvent dénigrée.
  • Nous savons qu’il nous faut inventer de nouveaux modèles économiques et sociaux pour servir l’humanité et respecter la nature. Cependant, nos pratiques peuvent ponctuellement être en opposition avec ces objectifs ; par exemple, notre amour des voyages, allié au faible coût des transports aériens, nous conduit à augmenter la production de carbone atmosphérique allant à l’encontre de sa nécessaire réduction. Notre fréquentation, par milliers, de sites touristiques remarquables amène ces sites au bord de l’asphyxie et de la dégradation. C’est le cas à Dubrovnik, à Santorin ou encore aux Baléares où le nombre de touristes admissibles est désormais contingenté. Le tourisme qui fait vivre peut aussi détruire quand il est poussé à l’extrême (les prix de l’immobilier tutoient les sommets, chassant les autochtones et transformant les sites visités en boutiques à ciel ouvert désertées de ses habitants).
  • Notre bon sens nous dicte de nous nourrir à partir de sources alimentaires de proximité valorisant le travail des producteurs locaux. Cette démarche est économique car elle est moins coûteuse en transport et elle réduit le nombre d’intermédiaires. De plus, les circuits courts retissent le territoire local en entretenant des emplois, des paysages et des liens sociaux. N’empêche, nous pouvons en même temps – et c’est notre liberté – déguster du bœuf d’Argentine, des haricots verts du Kenya ou des vins d’Australie.

Cette réalité complexe recouvre deux problématiques, celle de la contradiction et celle du changement. Il nous faut changer 1, nous l’avons bien compris. Sauf que cela n’est pas spontané, le changement s’apprend. Dans le domaine des conduites humaines, tout comportement résulte d’un processus d’apprentissage ; et le changement peut donc être vu comme une modification du comportement par rapport à une situation donnée. Changer c’est en définitive apprendre de nouveaux comportements. Là est la difficulté, il nous faut apprendre et cela demande du temps ! Sèvre Environnement – tant les salariés de l’Association que ses administrateurs − s’est donnée pour mission de contribuer à ce long processus d’apprentissage.

Quant à la contradiction, elle ne doit pas nous contraindre au surplace, tétanisés par nos incohérences, incapables d’avancer. Au contraire, la contradiction peut être le moteur 2 du changement souhaité. A l’image d’un Edgar Morin qui prône la dialogique, capable d’intégrer les contradictions pour avancer, il nous faut cheminer vers cet horizon qui nous rend plus cohérent avec nous-même et avec notre environnement. Pour une fois, regardons nos pieds quand nous progressons sur nos chemins de randonnée. Que voyons-nous ? Le pied droit vient sans cesse contredire le pied gauche et réciproquement, dans une compétition qui leur est propre. N’empêche, globalement le bonhomme avance et, finalement, ça marche !

 

1 L’idée de cet éditorial est issue de la lecture d’un dossier paru dans Le Monde du mardi 14 mars 2017, intitulé Ecologie : aux actes citoyens ! Il y est notamment fait référence à la nécessité de « changer ses habitudes. »

2 Nous pensons la contradiction positivement comme un battement qui entretient la vie ; à l’image du cœur qui bat et qui fait vivre l’être qu’il irrigue.

Post Author: Didier Dolé