Les états généraux de la bioéthique

Par Jean-Claude BRIANCEAU

Depuis la promulgation des premières lois de bioéthique en 1994, un principe de révision périodique a été inscrit dans les lois suivantes de 2004 et 2011, au terme d’un délai de sept ans. Nous y sommes. Le processus des états généraux de la bioéthique a donc été lancé le 18 janvier 2018.

La bioéthique concerne les questions soulevées par le progrès des sciences de la vie et de la santé, sujets délicats et trop complexes pour être abordés avec simplisme. Le mot éthique vient du grec
«Ethikos » qui signifie morale ; c’est la partie de la philosophie qui étudie les fondements de la morale, c’est-à-dire la théorie du bien et du mal fixant par des énoncés normatifs les fins de l’action humaine.  La bioéthique concerne donc l’ensemble des règles morales qui s’imposent aux différentes activités des médecins et des scientifiques en général.

Le gouvernement a confié au CCNE1 l’organisation d’états généraux de la bioéthique, voulant en faire un exercice de démocratie sanitaire avant de proposer au Parlement des modifications de la législation actuellement en vigueur. C’est beau! Mais, dans cette France de 2018, mener un tel exercice d’intelligence collective ne sera pas facile. Un site web a été ouvert2. Avec cet outil, Il est trop facile de défendre des positions individuelles éloignées de l’intérêt général d’aujourd’hui, et de celui des générations de demain.

Le CCNE a prévu de mener ses propres auditions (environ 150) de février à avril, en recevant des sociétés savantes, le milieu associatif, les grands courants de pensée religieux et quelques acteurs du secteur privé.

En juin, le CCNE remettra un premier rapport destiné à l’office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et techniques. A la fin de l’été, le CCNE remettra son propre avis sur la révision de la loi, et sur ce qui lui semble constituer les grandes priorités et les grands enjeux de cette révision. En fin de parcours y aura-t-il une révision restreinte ou large de la loi, l’adoption d’une nouvelle loi? Pour Jean-François DELFRAISSY, président du CCNE, la décision relèvera d’un choix politique, mais pas d’une décision du CCNE.

Avant de participer à cette consultation, soyons conscients que ces sujets touchent au sens même de la vie, de la conception à la mort, au moment où des avancées scientifiques ouvrent des possibilités que nos aïeux ne pouvaient pas imaginer. Mais tout ce qui est techniquement possible est-il humainement souhaitable? Les découvertes scientifiques nous apportent de nouvelles connaissances de l’univers et du monde du vivant. Les applications qui peuvent en découler ne sont pas toutes sans danger et n’ont donc pas toutes vocation à être autorisées. En 1916, Albert EINSTEIN publia sa théorie de la relativité générale, et dans les années 30 il signalait les risques potentiels des applications qui pouvaient en être faites. Après la guerre, avec son ami Albert SCHWEITZER ils militent pour un désarmement atomique mondial. Où en sommes-nous aujourd’hui ?

Notre société montre une tendance croissante à basculer dans un individualisme sans entrave. C’est bien là où se situe la ligne rouge à ne pas franchir. Nous devons retrousser nos manches pour humaniser les changements du possible. Cela suppose du discernement, de l’écoute et surtout de la présence à l’autre. Du « droit de l’enfant »,
nous ne devons pas basculer dans le « droit à l’enfant ».

Du fait des impacts des pollutions sur la santé, les enjeux de la bioéthique rejoignent la crise écologique. L’idée d’un homme décideur de toute chose, coupé de son environnement, a fait long feu. Les effets destructeurs de son mode de vie sur la planète et sur les autres êtres vivants mettent en échec les théories humanistes des XVIème et XVIIème siècles qui prônaient la séparation des sciences de l’homme, de celles de la nature. La crise écologique impose une réflexion sérieuse sur les limites de notre pouvoir et de notre droit, tout en ouvrant un nouvel humanisme qui englobe les générations futures de l’homme, et de toute forme de vie. Nous devrons consentir à limiter notre consommation pour préserver le monde commun. La brutalité économique actuelle repose la question de l’accomplissement, de la valeur et de la finalité d’une vie humaine. Ce sera à l’Etat d’organiser la société en fonction des biens que nous choisirons d’honorer, et non pour le profit de quelques-uns. Il ne s’agit pas seulement de savoir quel monde nous voulons transmettre à nos enfants, mais aussi quels enfants nous laisserons au monde.

Jean-Claude BRIANCEAU

Post Author: Didier Dolé