Par Roland BLANDIN et Jean-Claude BRIANCEAU
Faire un recensement de toutes ces petites bestioles serait une mission impossible même avec de gros moyens. Nous savons que de nombreux passionnés du monde entier ont passé leur vie à identifier de nouvelles espèces sans en apercevoir la fin. Et pourtant, les automobilistes de plus de 40 ans parcourant les routes de France depuis de très nombreuses années font des remarques intéressantes. Dans les années 1950-60, en période estivale, en effectuant un parcours de plusieurs heures, il fallait s’arrêter plusieurs fois, surtout la nuit, pour nettoyer son pare-brise, car il était couvert de petites bestioles qui venaient s’y écraser. Aujourd’hui, les automobilistes n’ont plus ce genre de problème. Où sont donc passés ces insectes ?
Ce phénomène curieux n’est pas apparu que sur les routes de France. En 1989 des automobilistes allemands se sont posé cette question et ont mené une étude qui a été publiée en octobre dernier. Elle révèle, qu’en seulement 25 ans, les insectes volants ont connu un déclin de 76% en moyenne, et jusqu’à 83% au milieu de l’été. Quelles sont les conséquences d’un tel déclin? Pour les spécialistes, c’est tout le tissu du vivant qui se délite progressivement. Il faut donc réagir vite.
Un million d’espèces
Les insectes représentent les trois quarts des animaux vivants sur notre planète. Les scientifiques ont identifié un million d’espèces d’insectes, et estiment qu’il pourrait y en avoir 10 millions, voire 100 millions dans le monde. Selon les données de l’OPIE, en France, 35.200 espèces sont regroupées dans les principaux ordres de classification suivants :
• Les coléoptères : 9.600 (carabes, coccinelles, criquets, lucane, scarabées, hannetons, rosalie des Alpes…),
• Les hyménoptères : 8.000 (guêpes, abeilles, fourmis…),
• Les diptères : 6.500 (mouches, moustiques…),
• Les lépidoptères 5.100 (papillons).
Résultats des études en cours
En France, des chercheurs du CNRS et de l’INRA observant l’évolution de la biodiversité et des chaînes alimentaires sur des zones agricoles du sud du département des Deux-Sèvres arrivent à des résultats similaires à ceux constatés en Allemagne. Sur cette zone d’étude
« Plaine et Val de Sèvre »,
il a été constaté, en 25 ans, la disparition de 80% des insectes terrestres type coléoptères. En même temps, les apiculteurs voient leurs essaims d’abeilles se décimer d’année en année. Cette mortalité est apparue dans les années 1990 au rythme de 5 à 8% par an et aujourd’hui de 20 à 30%. En dehors des abeilles, les pollinisateurs comptent plus d’un millier d’espèces différentes qui sont aussi menacées actuellement; et pourtant, nous savons que les trois quarts de notre alimentation dépendent de leur travail de pollinisation des cultures.
Quelles sont les causes de cette situation?
Pour les experts du CNRS et de l’INRA, ce sont les changements apportés aux pratiques agricoles. En premier lieu, tout a commencé avec la disparition des haies, des mares et des prairies où les insectes s’abritent ou se reproduisent. Ensuite il y a eu l’utilisation de plus en plus massive des pesticides et insecticides qui tuent directement les insectes, et enfin les herbicides qui détruisent les plantes dont ils se nourrissent.
Viennent ensuite la baisse de diversité des écosystèmes du fait de l’implantation de monocultures sur de larges espaces, l’implantation de prairies semées en ray-grass aux dépens du trèfle, de la luzerne et du sainfoin, la réduction des variétés d’arbres fruitiers, la raréfaction des arbres isolés et des haies mellifères riches en plantes à fleurs.
Quelles peuvent être les conséquences ?
Globalement, les insectes sont des maillons essentiels des chaînes alimentaires, clés de voûte des écosystèmes. Lorsqu’un maillon est rompu, l’ensemble du système se déséquilibre rapidement. Les insectes sont la base de l’alimentation d’autres animaux et principalement des oiseaux. Dans nos campagnes nous constatons le déclin rapide des moineaux, des hirondelles, des martinets, des mésanges, des alouettes, des perdrix grises…
Ceux qui considèrent les insectes comme des pestes s’entêtent à ignorer qu’ils ont un rôle clé dans le fonctionnement des écosystèmes en général, et en particulier agricoles. Leur diminution rapide et massive est un signal d’alarme très fort qui devrait tous nous inquiéter.
Toutes ces espèces d’insectes sont-elles bien utiles ?
Une telle question nous renvoie à l’article de Jean SAINT-DIDIER dans notre dernier Bulletin de décembre : « Qu’est-ce que l’utile ? » et à sa conclusion : c’est dans les choses les plus simples que l’on saisit le mieux ce qui est grand ». Voyons plutôt quelques exemples.
C’est le cas des coléoptères qui jouent un rôle essentiel dans le recyclage des déchets naturels. Les nécrophores enterrent les cadavres des petits mammifères et enrichissent le sol. Les coprophages décomposent les bouses de vache et les crottes de mouton. Les coccinelles éliminent les pucerons….
Face à l’effritement du tissu vivant de la planète, l’équilibre que nous avons connu est devenu trop fragile et peut s’effondrer d’un coup.
Il est urgent de jeter un regard nouveau sur nos modes de consommation, de distribution et de production dans tous les domaines d’activités.