Les insecticides sont nos amis. Tout du moins l’avons-nous cru longtemps. Mais l’usage des
« bombes » domestiques, que la publicité s’évertue à nous présenter comme « l’arme » idéale contre les moustiques, araignées, doryphores et autres hôtes indésirables de nos maisons et de nos jardins, aurait dû titiller notre attention : contre qui sommes-nous en guerre en fait ? Car ce langage belliqueux n’est pas anodin : si les représentants du microcosme des insectes ont longtemps été qualifiés de « nuisibles » (à notre santé mais aussi à nos intérêts économiques), ils sont, depuis la Seconde Guerre mondiale, devenus pires encore, de véritables ennemis intérieurs.
On comprend donc l’urgence de soutenir le développement économique et commercial d’insecticides en tout genre. Prenez le cas du DDT et du Lindane, deux molécules chimiques commercialisées à la fin des années 1930 et qui ont fait une belle campagne militaire, luttant activement contre les poux du typhus et les insectes de la malaria. Mais elles n’ont pas rendu les armes ensuite. Durant toute la guerre froide, elles ont aussi contribué à l’avènement d’une forme d’agriculture révolutionnaire, libérée des miasmes des écosystèmes naturels.
Mais il n’y a pas qu’une seule façon de raconter l’histoire. Et il est rare qu’une victoire aussi impressionnante n’ait pas aussi sa part d’ombre, faite de dégâts collatéraux de toutes sortes. Pour les insecticides chimiques, par exemple, leur usage massif et continu a souvent eu l’effet de contaminer l’eau potable et les tissus adipeux. Au détriment des travailleurs agricoles et des consommateurs les plus exposés, femmes enceintes et enfants en tête, et sur plusieurs générations. L’affaire récemment mise en lumière de l’usage intensif du Chlordécone en témoigne scandaleusement. Cousine chimiquement proche du lindane, cette molécule a trouvé un champ d’application idéale dans les grandes bananeraies des Antilles françaises, notamment après le passage de tempêtes tropicales qui favorisaient la prolifération d’agents pathogènes. Cette urgence a suffi pour faire taire les arguments plutôt réservés quant à son usage, issus des premiers essais in situ réalisés en Martinique…en mai 1968.
Le plus surprenant dans cette histoire, est la manière dont le produit, aux effets sur la santé humaine pourtant de plus en plus clairement décrits, a su bénéficier de laissez-passer pendant des décennies. Résultat ? La très grande majorité des populations de ces terres sont contaminées par cette molécule (et quelques autres), avec le risque de favoriser le développement de pathologies humaines graves. Un comble pour des molécules chimiques qui avaient libéré, il y a quelques décennies, des populations entières d’anciens fléaux. Certains, pragmatiques, rétorqueront que dans le bilan de bénéfice-risque final, c’est un prix à payer pour bénéficier aussi des avantages économiques qu’induit l’usage de ces produits chimiques. C’est un raisonnement semblable que défendent, par exemple, beaucoup d’utilisateurs actuels d’un puissant herbicide dans l’agriculture française.
« Glyphosate : sans alternative viable, nous n’acceptons pas d’interdiction », pouvait-on lire récemment sur le site internet d’un puissant syndicat agricole français. Un acte de résistance politique assumé, annonciateur de nouveaux conflits sociaux. Et un refus délibéré de sortir de cet univers de l’affrontement avec la nature, alors que de toutes parts émergent de nouvelles pratiques plus respectueuses des écosystèmes.
Ne serait-il pas temps de signer l’armistice ?
Nous remercions Dominique LANG de nous avoir autorisé à publier cet article paru dans le journal La Croix du 19 juin 2018.