Une œconomie au service de l’humanité


Economie
: art de réduire les dépenses dans la gestion de ses biens, de ses revenus ; telle est la première définition du mot donnée par notre bon vieux Larousse. Il y en a une deuxième : ce que l’on ne dépense pas, ce que l’on épargne. Puis une troisième : ensemble des activités d’une collectivité humaine relatives à la production, à la distribution et à la consommation de richesses. La quatrième évoque un système régissant ces activités (économie libérale, économie sociale et solidaire, économie planifiée). Enfin, une dernière parle d’un ordre qui préside à la distribution des différentes parties d’un ensemble, d’une organisation, d’une structure (économie d’un projet, par exemple).

Economie : nous ne réalisons pas forcément la richesse de ce vocable et les divers sens qui lui sont liés. Nous savons encore moins que son orthographe actuelle ne date que du XVIIIème siècle. En effet, en 1755, l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert entérine l’ablation d’un « o », transformant ainsi
« œconomie » en « économie ». Selon Pierre Calame 1, auteur du Petit traité d’œconomie, “en perdant son « o », l’économie perd aussi progressivement la mémoire de son sens premier, et s’autonomise de la gestion du reste de la société”.

1 Pierre Calame, Petit traité d’œconomie, Editions Charles Léopold Mayer, 2018, 192 pages, 10 €. Polytechnicien, ingénieur des Ponts et Chaussées, Pierre Calame est aujourd’hui président d’honneur de la Fondation Charles Léopold Mayer pour le progrès de l’homme (www.fph.ch).

Ainsi cette perte d’une lettre, si elle n’explique pas tout, constitue un symbole significatif d’une économie qui, peu à peu, s’est exonérée d’une de ses responsabilités, la gestion de la maison commune (du grec oïkos, maison, et nomos, loi, règles de gestion). Cette dérive pose problème aujourd’hui alors que nous prenons conscience à la fois de la puissance destructrice de l’action humaine à l’égard de la nature et des limites de notre planète. L’économie telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui n’assure plus la promotion du bien commun “dans le respect des limites de la planète”. Pierre Calame explique à son lecteur “que c’est en revenant à [l’œconomie] qu’il sera possible d’assurer à la société la maîtrise collective et démocratique de son propre destin”.

Les griefs faits à l’économie sont de différentes natures :

• On a revêtu l’économie d’un vernis la métamorphosant en “une science de la nature qui gouvernerait les sociétés indépendamment de leur histoire propre, de leur itinéraire de développement et de l’organisation de leurs acteurs”. En réalité, elle est devenue une idéologie.

• L’économie a fait sienne la formule de Descartes (1596-1650) qui voit les hommes “maîtres et possesseurs de la nature”. Cette représentation eut pour conséquence de transformer “bêtes, plantes et choses en ressources exploitables à merci”. La passion humaine pour l’accumulation de richesses compléta le tableau au point de conduire à “l’effondrement de la biodiversité, [au] changement climatique [et à] la concentration des richesses”.

• “L’impact du système productif sur la biosphère n’est dans le système actuel la responsabilité de personne”.

• “En devenant la référence principale de l’échange entre les personnes, en contribuant à disloquer les économies locales, les corps intermédiaires traditionnels, les solidarités et les identités professionnelles, les formes précapitalistes de l’échange, on peut avancer sans caricature que l’économie actuelle contribue à détricoter le tissu social”.

• Enfin, concernant le maintien de “l’équilibre à long terme entre les sociétés humaines et leur environnement, l’échec est ici patent. C’est la raison même de revenir à l’œconomie”.

Avec la restauration de l’œconomie, la gouvernance change de références : “des objectifs partagés, une éthique commune, des processus collectifs de résolution de problèmes  remplacent l’ancien trépied propre à l’économie : “des institutions, des compétences attribuées à chacune d’elles, des règles juridiques et de comportement ”. 

A la stabilité source de handicap quand l’évolution du monde est rapide, succède donc le mouvement plus susceptible d’une adaptation vitale.                        

Forte de cette assise, l’œconomie chère à Pierre Calame poursuit trois objectifs :

A. Contribuer à l’émergence d’une communauté mondiale solidaire qui garantira la paix. L’économie mondialisée actuelle ne peut empêcher l’accroissement des inégalités. L’œconomie devra favoriser le développement d’un droit international de la responsabilité ;
elle devra permettre un partage équitable de la valeur ajoutée au sein des filières et soutenir la gestion collaborative des biens communs mondiaux.

B. Contribuer à la cohésion sociale. Dans l’économie actuelle, “les riches n’ont plus besoin des pauvres”. Avec la nouvelle œconomie, chacun trouvera sa place dans la production de biens et services utiles et dans la gestion de biens communs. “L’œconomie redonnera toute sa place aux initiatives locales prises en commun”.

C. Préserver à long terme l’équilibre entre les sociétés humaines et la biosphère. Partant du constat que “l’humanité, au rythme actuel, a toutes les chances de s’autodétruire d’ici un siècle”, l’auteur remet en selle deux acteurs conçus comme pivots de l’œconomie nouvelle : le territoire et la filière. Le territoire est le lieu de la plupart des innovations actuelles : écologie industrielle et territoriale, économie circulaire 2, économie de fonctionnalité 3, circuits courts, monnaies locales, renouveau de l’économie sociale, intérêt pour les biens communs. Quant à la filière, elle représente le cycle complet d’un bien ou d’un service, depuis l’extraction des matières premières jusqu’au recyclage des produits périmés ou hors service. Il s’agit de faire des filières des acteurs collectifs responsables et solidaires.

Pour conclure, nous faisons appel à la définition de l’œconomie telle que la voit l’auteur en ce début du XXIème siècle. Elle est l’aboutissement logique de l’approche que nous en avons effectuée.

L’œconomie est une branche de la gouvernance. Elle a pour objet de créer des acteurs et des agencements institutionnels des processus et des règles, visant à organiser la production, la distribution et l’utilisation de biens et de services en vue d’assurer à l’humanité tout le bien-être possible, en tirant le meilleur parti des capacités techniques et de la créativité humaine, dans un souci constant de préservation et d’enrichissement de la biosphère, de conservation des intérêts, des droits et des capacités d’initiative des générations futures, dans des conditions de responsabilité et d’équité suscitant l’adhésion de tous.

2 Partant du constat que la révolution industrielle a provoqué une ouverture des cycles bio-géo-chimiques, l’économie circulaire veut contribuer à leur fermeture, par une conception des produits plus économe en énergie et en ressources naturelles (éco-conception), par la réutilisation de produits usagés (reconditionnement et utilisation en cascade) et par le recyclage. (Note de l’auteur).

3 L’économie de fonctionnalité regroupe l’ensemble des démarches qui visent à offrir le même service, tout en réduisant les besoins en produits industriels possédés individuellement. Par exemple la substitution de la location à l’achat ou l’autopartage. (Note de l’auteur).

Post Author: Didier Dolé