La Forêt face au changement climatique

Comme nous l’a si bien décrit Jean Saint-Didier dans son éditorial, notre Elzéard Bouffier, de Jean Giono, pouvait « arpenter, des décennies plus tard, une magnifique forêt mélangée de chênes, de hêtres et bouleaux », sans oublier les saules et osiers réapparus autour de l’eau source de vie ! Depuis, l’eau a coulé sous les ponts et les années ont passé. D’une forêt mélangée d’une multitude d’espèces où transpirait la vie, l’Homme a voulu rationaliser, simplifier à outrance ce magnifique écosystème très complexe qu’est la forêt.  

Elzéard Bouffier priait pour le retour de l’eau dans la source. Bizarrement, dans les Landes, à grand coup de capitaux, les ingénieurs des Ponts et Chaussées de Napoléon III ont chassé l’eau, et en même temps les populations de bergers landais, pour semer le pin des landes en lieux et place de la forêt mixte naturelle pour produire « l’or blanc » de l’époque : l’essence de térébenthine et de la colophane. En 1949, un gigantesque incendie vient ravager 50% de la forêt ! La forêt est replantée grâce aux aides du Fond Forestier National mais, cette fois-ci, en rangs d’oignons ! La forêt des landes devenue mono-spécifique s’étendra pour atteindre aujourd’hui 1 300 000 hectares ! On pourrait appeler cela la sylviculture intensive !

Malheureusement, un grain de sable non prévu est en train de remettre en question ce type de sylviculture. En effet, le changement climatique lié au réchauffement global de la planète rebat toutes les cartes. Fortes températures, incendies, tempêtes, maladies, insectes mettent à mal ce type de sylviculture à tel point que l’on parle aujourd’hui de péril forestier ! Récemment, une étude de chercheurs de l’INRAE 1 et de la Mission Biologique de Galice en Espagne, ont décrit des stratégies pour sauvegarder la forêt. Et devinez sur quel modèle : la forêt mélangée d’Elzéard Bouffier, la plus capable de répondre au grand défi du changement climatique !!!!

Le  changement climatique

Avec le changement climatique, on constate une augmentation généralisée des dégâts dans les forêts, en Europe et dans le monde, sous climat tempéré, provoqués par les insectes ravageurs, les champignons pathogènes et l’augmentation des températures. Selon l’office National des Forêts, depuis 2019, 220 000 ha de forêts publiques françaises subissent un taux de mortalité inédit menaçant l’efficacité de l’absorption du carbone par la forêt. La Forêt vosgienne est décimée par un scolyte, minuscule coléoptère brun. L’insecte perce l’écorce pour y pondre ses œufs. Les larves se développent en grignotant le bois puis, une fois adultes, s’envolent pour, à leur tour, coloniser d’autres arbres. Les frênes, les châtaigniers … sont ravagés par des champignons, le Chalara fraxinea (la chalarose) pour le premier et le Phytophtora cinnamomi ou Phytophtora cambivora (l’encre) pour le deuxième. Les hêtres et les chênes pédonculés sont eux menacés par l’augmentation des températures et l’augmentation des sècheresses estivales. 

Afin d’évaluer le rôle de la diversité des forêts dans leur résistance aux insectes ravageurs, des chercheurs d’INRAE et de la Mission Biologique de Galice (Espagne) ont mené une méta-analyse sur plus de 600 cas publiés entre 1966 et 2019, la plus complète à ce jour. Leurs résultats, publiés le 16 septembre de cette année, dans Annual Review of Entomology, confirment que les forêts mélangées (composées de plusieurs espèces d’arbres) sont plus résistantes aux attaques de la majorité des insectes herbivores que les forêts pures (monocultures), avec une réduction des dégâts d’en moyenne 20%. Leur synthèse ouvre de nouvelles pistes de recherche en gestion forestière pour prévenir les attaques de ces ravageurs.

Les forêts sont essentielles pour limiter le changement climatique et préserver la biodiversité. Elles sont également une importante source de biomatériaux comme le bois. Ces dernières années, les dégâts provoqués par les insectes ravageurs (ex :
défoliateurs, scolytes…) ont fortement augmenté en raison du changement climatique (hausse des températures, récurrence des sécheresses, incendies, tempêtes) et des invasions biologiques. Les recherches en écologie forestière menées ces cinquante dernières années, ont souvent démontré que les dégâts provoqués par les insectes ravageurs étaient plus faibles dans les forêts composées de plusieurs espèces d’arbres, que dans les forêts mono-spécifiques (monocultures), c’est ce que l’on appelle la « résistance par association ». Afin de confirmer cette tendance et d’en comprendre les mécanismes, les chercheurs ont analysé 624 comparaisons d’attaques d’insectes herbivores entre forêts pures et forêts mélangées. Ils proposent une synthèse des mécanismes écologiques expliquant cette résistance par association, ainsi que des pistes pour le design de plantations mélangées moins vulnérables aux dégâts d’insectes ravageurs.

Désorienter les insectes et favoriser les prédateurs 

Les résultats confirment que les forêts mélangées sont généralement plus résistantes aux insectes ravageurs. Cela s’explique tout d’abord par les interactions entre l’arbre et le ravageur. Un insecte herbivore, en particulier un insecte spécialiste, privilégie une espèce d’arbre en particulier (espèce hôte) qu’il va chercher pour se nourrir ou y pondre ses œufs. Dans une forêt mélangée, les signaux olfactifs ou visuels émis par les autres espèces d’arbre brouillent ceux émis par l’espèce hôte recherchée qui est ainsi
« cachée » pour l’insecte. Le deuxième mécanisme en jeu est que les forêts mélangées favorisent l’installation de prédateurs naturels tels que les oiseaux, les chauve-souris ou les araignées qui pourraient ensuite contrôler les populations d’insectes ravageurs.

L’importance du choix des espèces d’arbres associées .

Ce n’est pas tant le nombre d’espèces présentes dans la forêt mélangée qui est importante pour la résistance par association contre les insectes herbivores que l’identité des espèces associées. En effet, la résistance par association est d’autant plus importante que les forêts mélangées comprennent des espèces d’arbres très différentes d’un point de vue fonctionnel. Par exemple, les insectes attaquant à la fois les feuillus et les conifères étant très rares, associer une espèce de feuillu avec une espèce de conifère apparaît être plus protecteur que d’associer deux espèces de conifères. Enfin, les chercheurs suggèrent que l’effet protecteur des forêts mélangées serait d’autant plus important que les insectes ravageurs sont abondants.

Ces résultats ont des ap-
plications concrètes pour la gestion forestière. Il est ainsi recommandé d’éviter les monocultures, plus vul-nérables aux ravageurs, et de bien choisir les espèces associées pour maximiser la résistance par association, par exemple en associant des conifères et des feuillus. Des travaux de recherche sont actuellement menés avec les gestionnaires forestiers pour évaluer la meilleure association entre une espèce de feuillu et une espèce de conifère pour la protection contre les ravageurs. D’autres travaux ayant pour objet la manière de gérer une forêt mixte avec des espèces ayant des croissances et des gestions différentes.

La commission Von der Leyen 

C’est d’ailleurs la stratégie de la commission Von der Leyen de l’Union Européenne qui a pour but de rendre les surfaces boisées euro-péennes plus résilientes au changement climatique et à ses conséquences, avec la promotion d’une filière bois plus durable. Conscient de cette problématique le gouvernement français a intégré au plan de relance de l’économie tout un volet sur la forêt (200 millions d’euros sur 2 ans). La filière forêt-bois française permet de compenser environ 20 % des émissions françaises de CO2 grâce au stockage de bois en forêt, dans les produits bois et à la substitution d’énergies fossiles et de matériaux plus énergivores. Elle joue ainsi un rôle majeur en matière d’atténuation du changement climatique et présente le potentiel pour en jouer encore un plus grand comme l’indique la stratégie nationale bas carbone (SNBC). La forêt et la filière bois apportent de nombreux autres services, économiques (approvisionnement en bois d’entreprises de transformation et de production d’énergie), environnementaux (héber-gement d’une biodiversité riche, préservation de la qualité de l’eau, et du paysage) et aussi sociétaux (accueil du public, prévention contre les risques naturels, services récréatifs, emplois). Pour autant, ce rôle repose sur la résilience des forêts, et notamment sur leur capacité à s’adapter à ce changement climatique dans un contexte où elles sont déjà affectées par des dépérissements et doivent être régénérées (scolytes, assèchement…). Les simulations d’évolutions climatiques laissent apparaître une réduction très significative des aires de compatibilité climatique des grandes essences de la forêt française et leurs capacités d’adaptation ne suffiront pas à leur maintien. Une stratégie s’appuyant sur la gestion forestière conduite sur des surfaces bien plus importantes qu’aujourd’hui, et adaptée selon les territoires, est nécessaire. Amplifier le rôle de puits de carbone de la forêt et le développement des produits bois suppose d’investir dans la filière. L’objectif de cette mesure est ainsi d’accompagner l’adaptation de la filière forêt-bois française, pour continuer à fournir du bois à la société, pérenniser les services qu’elle rend et amplifier leur contribution à l’atténuation du changement climatique, tout en s’inscrivant dans le cadre d’une gestion durable et multifonctionnelle de la
forêt.

1 INRAE: Institut National de Recherche pour l’Agriculture et l’Environnement.

Post Author: Didier Dolé