Depuis plus de vingt ans, Sèvre Environnement l’a constaté à maintes reprises : il n’y a pas de pollution sans gravité pour la santé. Les risques majeurs concernent en premier lieu les enfants nés et à naître. Environnement et santé sont toujours intimement liés. La pollution et la dégradation de nos écosystèmes sont le résultat de nos activités humaines. La réglementation actuelle ne protège pas suffisamment la population. Nous sommes en présence d’un scandale sanitaire, économique, social, éthique et juridique qui constitue le plus grand défi lancé à notre société aujourd’hui. Soyons-en convaincus, notre mode de vie obère l’avenir des enfants.
Alors il nous faut alerter encore et encore. Les conférences données à Niort et à Bressuire les 10 et 11 février dernier, devant six cents personnes, par Charles SULTAN et Daniel CUEFF nous en fournissent l’occasion. Le professeur Charles Sultan, endocrinologue pédiatrique à l’université de Montpellier, a publié de nombreux articles dans des revues spécialisées sur les malformations d’enfants générées suite à une exposition aux pesticides. Comme en 2009, il revient nous dire tout le mal qu’il pense des perturbateurs endocriniens. Daniel Cueff est maire de Langouët, (600 habitants) en Ille-et-Vilaine depuis 1999. En vingt ans, il a développé une politique soucieuse d’assurer une bonne qualité de vie aux habitants de sa commune ; il fera, un retour d’expérience, en particulier, sur la mise en place, dès 2004, d’une cantine scolaire 100% bio.
Une bombe à retardement.
Le professeur Sultan choisit d’aborder la problématique suivante : comment les perturbateurs endocriniens (PE) modifient-ils la santé de l’enfant à travers son alimentation ? Rappelons qu’un PE est un produit chimique qui altère l’équilibre hormonal (perturbation de la production d’une hormone, de sa circulation ou de son action intracellulaire essentiellement). Aujourd’hui, la préoccupation porte sur la capacité des PE à transmettre leurs perturbations de génération en génération. Le Distilbène fournit un bon exemple des méfaits intergénérationnels causés par les PE. Prescrit à des femmes qui subissaient des avortements spontanés à répétition ou des accouchements prématurés, le Distilbène s’est avéré être responsable d’anomalies génitales (malformation de l’urètre, hypotrophie des testicules, cancer du vagin, stérilité) chez les enfants issus de ces femmes. Au Vietnam, en 2019, le professeur Sultan a constaté des malformations somatiques (bras, jambes), cérébrales et sexuelles chez des enfants de familles ayant subi les effets de pesticides à base de dioxines. L’effet délétère a été constaté jusqu’au niveau des arrière-petits-enfants : « Ces pollutions chimiques sont une bombe à retardement. »
Il est établi, qu’au cours d’un repas, un enfant peut ingérer potentiellement 128 résidus chimiques, 36 pesticides et 47 substances cancérigènes. Ce constat est suffisant pour décider d’opter pour une alimentation sans produits chimiques. Toutefois la prise en compte de la santé de l’enfant doit être globale ; au-delà de son alimentation, il convient de considérer aussi la qualité de l’air qu’il respire. En 2019, une étude scientifique a montré qu’un enfant dont la maman a passé sa grossesse dans une atmosphère contaminée par les PE, allait présenter à l’âge de 6 ou 7 ans, une réduction de son quotient intellectuel. La pollution chimique environnementale touche donc le développement du cerveau.
Le placenta est une éponge
Le placenta était réputé jouer le rôle de barrière protectrice pour le fœtus vis-à-vis des agressions exogènes ; il nous faut désormais considérer que le placenta se comporte plutôt comme une éponge ! Tous les PE peuvent traverser le placenta et se retrouver dans le liquide amniotique dans lequel baigne le fœtus. La vie et le développement du fœtus dépendent de l’activité du placenta qui en est la matrice nourricière. Or les PE sont capables d’altérer la fonction du placenta et de générer des retards de croissance. Il a été détecté près de trois cents produits chimiques divers dans le sang du cordon ombilical. Sachant que le devenir de l’enfant, de l’adolescent et de l’adulte se met en place durant la vie fœtale, il faut donc protéger la femme enceinte et le fœtus de l’action néfaste des PE. Leur environnement doit être préservé de la contamination atmosphérique, habitationnelle, professionnelle et alimentaire provoquée par les PE. Cette protection porte sur les points suivants :
• la confection d’une alimentation indemne de produits chimiques (à base de produits biologiques) et utilisant des ustensiles de cuisine ne contenant ni phtalates, ni bisphénols, ni téflon, ni mélamine qui sont de violents PE,
• l’assurance de faire usage d’une eau du robinet de qualité (en France, trois millions de personnes utilisent une eau de consommation contenant des pesticides),
• l’aménagement d’un environ-nement domestique sain qui suppose l’exclusion de toute substance susceptible de libérer des PE, par exemple, certaines bougies, huiles et peintures, mais également les parabènes (conservateurs utilisés dans les cosmétiques, les médicaments et les aliments) et les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) que l’on retrouve dans les fumées.
• l’usage de produits cosmétiques, de vêtements, de jouets et de plastiques indemnes de phtalates.
• la limitation des risques professionnels liés au contact avec des PE,
• l’évitement de pollutions exogènes (liées à l’environ-nement industriel ou agricole par exemple).
La triste réalité de l’effet des P.E
Le professeur SULTAN insiste :
les PE altèrent aussi le développement du système nerveux central car la mise en place des neurones se fait grâce aux hormones thyroïdiennes dont l’action est modifiée par les PE. A terme, c’est le quotient intellectuel de ces enfants qui sera atteint. Par ailleurs, les PE favorisent l’obésité et l’émergence du diabète. En matière de spermatogenèse, « c’est la catastrophe » ; chez les hommes actuels, elle est la moitié de celle de leur père, notamment parce que le testicule fœtal a pu être altéré par des pesticides. Pour la femme, « c’est beaucoup plus grave ».
Elle naît avec un stock de quatre cents follicules ; si pendant la vie fœtale, elle a été agressée par un pesticide, son stock folliculaire va baisser. Elle présentera alors une ménopause précoce ou une stérilité. « On n’a jamais vu autant de ménopause précoce et de stérilité féminine. »
Les PE deviennent un scandale sanitaire parce que le spectre des conséquences de leur diffusion s’est élargi au cours de ces vingt dernières années. Les PE ne se limitent plus aux maladies endocriniennes. Ils touchent aussi le métabolisme glucidique, les maladies inflammatoires et auto-immunes, le développement psycho-moteur, l’autisme, les maladies neuro-dégénératives, psychiatriques, hépatiques, cardio-vasculaires et le cancer. « Les PE impactent toutes les cellules et tous les organes de l’homme. Une triste réalité. »
Le plus grand scandale actuel, ce sont les fongicides SDHI, des PE dont la nocivité est démontrée sur les cellules humaines mais « les autorités de santé n’ont pas pris en compte les résultats. Il est scandaleux qu’un pesticide ne soit pas évalué avant sa mise sur le marché comme l’est un médicament. »
Langouët, une commune écologique qui innove
avec ses habitants.
A Langouët, où là-bas aussi, la pollution, le réchauffement climatique sont d’actualité, le maire Daniel CUEFF, écologue actif, s’est lancé résolument, depuis 1999, dans des projets d’écologie concrète, convaincu que les solutions environnementales ne peuvent venir que des territoires. Dès le début de son mandat, il met en avant le principe de « faire de l’écologie plutôt que d’en parler ». Résultat : depuis plus de vingt ans, il a multiplié les initiatives vertes dans ce village … avec ses habitants, transformant un territoire rural en véritable laboratoire à ciel ouvert de l’écologie. Langouët, c’est aujourd’hui un village qui avance résolument dans la voie de la transition écologique avec :
• une application du « zéro pesticide » sur les espaces communaux dès 1999…presque 20 ans avant l’arrivée de la loi Labbé.
• des installations de panneaux photovoltaïques sur les bâtiments communaux.
• une école HQE construite en bois, chauffée par une filière bois-énergie, qui récupère l’eau de pluie pour les sanitaires, qui produit 35% de son électricité.
• des habitats sociaux 0 énergie, 0 carbone, 0 déchet.
• un panneau solaire destiné à fournir de l’électricité verte à une partie des habitants.
• un centre de ressource en permaculture.
Cantine 100% bio dès 2004
C’est un projet pionnier basé sur la nécessité de « prendre notre part aux évolutions d’un monde dont les modes de consommation et de production ne pourront pas durer ».
Produire localement pour consommer localement. Rien de plus simple sauf qu’un tel projet passe par une reterritorialisation de l’agriculture et la mise en place de circuits courts. Toute une logistique à repenser !
Côté fournisseurs, on a fait appel au Groupement Manger Bio 35, créé en 2000, pionnier de France en approvisionnement de produits bio et locaux pour la restauration collective, du boulanger bio local au Biocoop pour les produits secs, riz, pâtes…
Les enfants profitent donc d’un menu avec une garantie de saisonnalité et de qualité des produits ; un lien authentique, du sol à l’assiette !
Mais plus encore ! L’audit mené par le syndicat de traitement des ordures ménagères, sur les cantines pour évaluer la quantité de nourriture gaspillée terminant à la poubelle, a fait ressortir que la cantine de Langouët était celle qui produisait le moins de déchets. Bravo, mais tant pis pour le poulailler communal !
Enfin, ne dit-on pas que manger bio c’est toujours plus cher ? A Langouët, dès la première année, le prix du repas a baissé : il faut dire que l’on n’achète désormais que la quantité exacte de ce que l’on mange. Le pain bio, c’est plus nourrissant et la viande issue d’un élevage bio est bien plus consistante (fini le rôti de veau qui fondait en partie dans la poêle !).
La cantine bio extrapolable dans une ville comme Niort, Bressuire ?
Oui ! de toute évidence pour D.Cueff qui cite Saint-Etienne, Grenoble… et qui voit dans ce type de projet un débouché immédiat pour l’agriculture locale et un levier permettant à des agriculteurs de se convertir au bio.
Pour un environnement sain
Dans le cadre de l’opération des « Pisseurs de glyphosate »,
les citoyens du village, dont le maire, se sont volontiers prêtés aux tests d’urine. Résultat : des doses de glyphosate dans tous les organismes y compris ceux qui s’alimentent en bio ; un enfant de 8 ans s’est retrouvé avec un taux de glyphosate 30 fois supérieur aux autres, ce qui a suscité une véritable inquiétude collective. Les pesticides n’étant plus utilisés dans les espaces communaux, les jardins, les habitations, l’origine du problème ne pouvait donc venir que de ceux utilisés en agriculture. Face à l’insoutenable légèreté d’instances décisionnaires, (du monde sanitaire en particulier) et à la carence de l’Etat à agir enfin sur ce problème tant de fois soulevé, Daniel Cueff décide de se faire porte-parole des citoyens. Il prend un arrêté le 18 mai 2019, interdisant l’épandage de pesticides sur les parcelles agricoles à moins de 150 mètres des habitations, la commune garantissant une indemnisation en cas de baisse de rendement. L’initiative du maire lanceur d’alerte a été suivie depuis par 120 autres communes qui se sont regroupées en collectif. Porté par la pression populaire dans son combat, Daniel Cueff ne s’attaque pas aux agriculteurs ;
pour les aider à anticiper dans un avenir nouveau, il les soutient et leur lance un appel dans son dernier livre ci-joint. La qualité de l’alimentation et la santé, passent par la préservation de l’environnement dans sa globalité.
Pour les deux conférenciers, les changements nécessaires ne se feront pas sans le soutien actif des citoyens de la planète. A chacun de passer à l’action, chez soi, dès à présent !