Sept ans après le premier «Appel de Paris» (notre bulletin n°20), lancé par le Pr BELPOMME (président de l’ARTAC) et signé par 76 personnalités françaises et étrangères exhortant les pouvoirs publics à combattre les pollutions chimiques qui constituent une menace pour la survie de l’espèce humaine. Le troisième colloque de l’Appel de Paris sur la santé des enfants et l’environnement a eu lieu les 12 et 13 avril 2011 à la Maison de l’UNESCO à Paris. Il s’agit d’un événement majeur dans la prise de conscience des causes environnementales des maladies chroniques qui augmentent sous l’effet des pollutions. Les périodes de développement fœtale, périnatale, infantile ou péripubertaire sont particulièrement sensibles à l‘exposition aux polluants. Nous avons assisté à ce troisième colloque présidé par Luc MONTAGNIER (Prix Nobel de médecine 2008), le DR Maria NERA (Directrice Santé Publique et Environnement à l’OMS), le Dr David GEE (Agence Européenne pour l‘environnement) et le Pr Hanns MOSHAMMER (président de l‘ISDE).
Ouverture du colloque
Pour les Pr Montagnier et Moshammer, le progrès technique et le développement économique ont atteint un point où les effets négatifs l’emportent sur les avantages. Santé et environnement devraient être au cœur de toute discussion politique sur nos plans et stratégies futurs. Réduire les pollutions revient à réduire les pathologies. Le Dr Maria Nera (OMS) a rappelé que le corps d’un enfant en développement est particulièrement vulnérable aux pollutions et aux radiations, et précisé que 3 millions d’enfants âgés de moins de 5 ans meurent chaque année de maladies évitables liées à l’environnement. Et 97% des fonds disponibles vont vers les traitements alors que moins de 3% sont destinés à la prévention.
Cancer et environnement
Pour le Pr Belpomme, les substances chimiques que nous avons dispersées dans l’environnement jouent un rôle dans la cancérogenèse beaucoup plus important qu’on ne le pense habituellement. Les expérimentations animales conduites par le Dr Ana SOTO (CHU de Boston) montrent que l’exposition in utero aux xénoestrogènes augmente la propension à développer un cancer mammaire à l’âge adulte. Le BPA (bisphénol-A) est un xénoestrogène que l’on retrouve dans tous les plastiques souples, en particulier les biberons en plastique (qui viennent d’être interdits en France), dans les revêtements internes d’emballages métalliques pour boissons et aliments, dans les tickets de caisse etc…Ces résultats sont confirmés par le Pr FENICHEL (CHU de Nice) qui considère le BPA, avec des doses de l’ordre du nanogramme (milliardième de gramme), comme étant aussi à l’origine de lésions précancéreuses prostatiques chez l’adulte et réduisant les effets des chimiothérapies. Alors que la Côte d’azur n’a que très peu d’industries et d’agriculture il constate des taux élevés de BPA dans le sang de 90% des enfants garçons. Il attire l’attention sur d’autres Perturbateurs Endocriniens Environnementaux(PEE) dont les polychlorobiphénols (PCB) présents à très faible dose dans les eaux du Rhône contaminent les poissons; il a été trouvé dans le sang des cormorans s‘alimentant de ces poissons des taux 1 million de fois plus élevés que ceux dans l‘eau. Ceci résulte des accumulations successives dans les chaînes alimentaires, et n’oublions pas que l’homme est le dernier maillon de ces chaînes.
L’enfance en danger
Une étude sur 4146 enfants suivis de la naissance à 2 ans,réalisée par le Pr Jocelyne JUST (Hôpital Trousseau Paris), montre une augmentation de la prévalence de l’asthme chez les jeunes enfants en relation avec la pollution atmosphérique. Après de nombreuses études sur les animaux, les scientifiques constatent un nombre croissant de dysfonctionnements sur le système reproducteur humain (masculin et féminin) en liaison directe avec les PEE. Le Pr Niels SKAKKEBAEK, andrologue et endocrinologue pédiatrique à Copenhague, constate que 40% des jeunes garçons ont une fertilité inférieure à celle de leurs pères au même âge; 90% des spermatozoïdes présentent des anomalies abaissant la probabilité de reproduire, la procréation assistée représentant déjà 10% des naissances. Au CHU de Montpellier, l’endocrinologue pédiatre Pr Charles SULTAN constate une influence des PEE sur la puberté; autrefois située entre 11 et 14 ans, on a des premiers signes à partir de 8 ans. Récemment le Pr Sultan a examiné un bébé de 3 mois avec des seins et ses premières règles.Tous les cas examinés sont en relation avec la profession des parents. Les analyses (sang et lait maternel accusent la présence de nombreux polluants chimiques PEE avec des taux très élevés: BPA, Polyphénols, Formaldehydes, PCB, Phtalates, DDT…
Le Dr Ernesto BRUGIO (Italie) a pour spécialité : l’origine embryo-fœtale des maladies de l’adulte. Nos propres phénotypes physiologiques et pathologiques sont largement déterminés par l’induction/modulation de marqueurs épigénétiques de nos cellules et tissus par des facteurs environnementaux au cours du développement des embryons et fœtus. C’est le cas des PEE et métaux lourds. Nous assistons, dans les pays développés, au passage d’une prévalence de facteurs exogènes (infectieux et parasitaires) à une prévalence des maladies chroniques endogènes (neurodégénératives,neuroendocriniens, cardiovasculaires et néoplasiques).
Les fléaux de santé publique
Le Pr John IONESCU (Munich), avec une expérience personnelle de 18000 patients, souffrant d’eczéma atopique et asthme allergique, démontre que des mécanismes pseudo allergiques dus à des agents toxiques présents dans le milieu ambiant (formaldhéhyde, polluants industriels et du trafic routier, pesticides, produits de protection du bois, additifs alimentaires, métaux lourds…) sont à l’origine d’une symptomatologie complexe. En Allemagne, un tiers des nouveau-nés deviennent allergiques dans les 6 premiers mois de la vie. Parallèlement aux facteurs habituels d’activation des allergènes, les polluants ambiants jouent un rôle d’adjuvants et sont les facteurs principaux de déclenchement de l’allergie. Une éviction et/ou une élimination de ces facteurs avant et pendant la grossesse, ainsi que durant l’enfance, permet de réduire significativement l’apparition de ces allergies.
De son côté le Pr Philippe GRANDJEAN (Danemark) conduit des recherches sur l’épidémiologie environnementale des expositions in utero aux polluants chimiques et leurs effets sur le développement du système nerveux. 12000 cellules nerveuses nouvelles par minute sont créées chez le fœtus; les connexions entre cellules représentent 4 fois la circonférence de la Terre. Le fœtus est exposé aux polluants accumulés dans le corps de sa mère et ce n’est pas seulement la dose qui fait le poison mais aussi la période d’exposition. 200 substances sont considérées toxiques pour le cerveau en formation, dont le plomb, le méthylmercure, le toluène, l’alcool, la nicotine,les PCB, certains pesticides…
Comment protéger la santé des enfants?
Cette question a été largement débattue par un groupe réunissant des scientifiques du colloque, des députés européens et des représentants d’ONG internationales pour la santé. De ce long débat nous ne pouvons reporter ici que les grandes lignes. Pour commencer il faudrait que l’information issue du monde de la santé soit bien écoutée. Ce n’est pas le cas aujourd’hui. Et pourquoi ? Essentiellement, parce que le pouvoir politique agit en faveur de l’économie laissant l’expertise aux mains des lobbies. Les industriels apportent des études confidentielles devant des commissions ne possédant pas l’expertise. Ainsi les nouvelles technologies prennent place sur le marché avant évaluation des conséquences et du coût social qui en résulte. La majorité des nuisances d’aujourd’hui ont été programmées au siècle dernier. Pour l’instant, la priorité va aux soins correctifs plutôt qu’aux actions préventives. Il ne devrait pas y avoir de mise sur le marché sur le territoire de l’Union Européenne sans évaluation préalable par des scientifiques totalement indépendants. Nous avons besoin de probité, nous avons besoin de volonté politique.