Conférence 2011 : « Agriculture & Nourriture»

Bien nourrir aujourd’hui 7 milliards d’humains, et demain 9 milliards, est une préoccupation journalière qui ne laisse personne indifférent. Tout humain doit avoir accès à une alimentation de qualité et en quantité suffisante. Est-ce faisable aujourd’hui et à l’avenir ?L’agriculture peut-elle subvenir à nos besoins d’aujourd’hui et du futur ? C’est pour chercher une réponse à ces deux questions, en invitant consommateurs et agriculteurs, que nous avons organisé cette conférence en partenariat avec les établissements d’enseignement agricole de Bressuire : Sèvre Europe et Lycée des Sicaudières, le CIVAM du Haut Bocage, le Pays du Bocage Bressuirais, la Région Poitou-Charentes et le Conseil Général des Deux-Sèvres. Trois séances ont pu être programmées sur deux jours. La première le 6 octobre en soirée à Cerizay, en présence du député Jean Grellier et de Jonhy Brosseau maire de Cerizay et vice-président du Conseil Général, a réuni 400 personnes dans une salle comble. La seconde a eu lieu le lendemain matin à Bressuire, en présence de Madame Schaaf-Lenoir sous-préfète de Bressuire, pour les élèves et enseignants de Sèvre Europe et des Sicaudières regroupant un peu plus de 200 personnes. La troisième a eu lieu le 7 octobre en soirée à Niort , en présence de Jean-Claude MAZIN président de la commission Agriculture et Environnement du Conseil Général des Deux-Sèvres, devant 150 personnes.

Les conférenciers
Les deux thèmes associés dans le titre de cette conférence ont été traités par deux conférenciers. Fabrice NICOLINO qui devait traiter le sujet « Nourriture », retenu par un problème de santé, n’a pas pu être des nôtres et a été remplacé par son collègue et ami Jean-Claude PIERRE qui venait de publier, la veille, son dernier livre « L’Appel de Gaïa » chez LIV’Editions.
Les enjeux agriculture, écologie, économie ont été traités par Marc DUFUMIER, professeur d’agriculture comparée et développement agricole à Agro Paris Tech.

Comment bien nourrir 9 milliards d’humains ?
Grave question déjà d’actualité quand on sait que plus d’un milliard souffre déjà de la faim. Un problème étudié par de nombreux chercheurs, repris par les politiques, les mouvements écologistes et qui concerne, en premier lieu aussi, ceux qui produisent notre nourriture de tous les jours : les agriculteurs. Une profession qui fournit le produit alimentaire brut et qui, depuis plusieurs décennies, est devenue totalement dépendante de l’industrie agro-alimentaire comme de la grande distribution. Celles-ci, on le sait tous, imposent un cahier des charges des plus draconiens sur les produits agricoles qu’elles souhaitent transformer et commercialiser ensuite auprès de consommateurs qui n’ont pas d’autre choix que d’accepter, dans leur assiette, le type d’aliment issu de ce système. L’agriculteur, dans un tel contexte, a perdu toute initiative et se retrouve dans un rôle de sous-traitant soumis à des exigences qui ne sont pas de son fait. Il y a donc lieu de mesurer les discours, les jugements portés à l’égard de cette profession souvent critiquée, stigmatisée parfois injustement.

Etat des lieux :
Si tant de gens souffrent de malnutrition, comment croire que seule l’agriculture moderne en est la cause ? Quelques constats d’abord sur l’alimentation : une mondialisation des échanges, un allongement des circuits, une généralisation des grandes surfaces de distribution, un modèle de consommation basé sur une forte consommation de protéïnes animales. Des statistiques que l’on a peine à croire : en effet, avec ces manières de produire, de stocker, de commercer et de consommer, c’est 20 à 25% des produits mis sur nos marchés qui vont à la poubelle et c’est près de 50% de la nourriture produite au départ qui est perdue. Un changement de perspective s’impose : il ne s’agit pas de chercher à produire plus mais plutôt de revoir tout le système en profondeur entre le producteur et le consommateur.
Pourquoi une telle situation ?
Avant même d’évoquer des agricultures alternatives, Marc Dufumier se propose de voir comment on en est arrivé là. Les enjeux des activités liées à l’agriculture moderne en général sont nombreux : elle doit fournir une alimentation de qualité pour une population mondiale croissante, fournir aussi des matières premières de plus en plus diversifiées pour d’autres secteurs d’activités tels que biomatériaux, agrocarburants, Est-il utile de préciser que cette activité doit procurer des revenus décents aux agriculteurs et se développer sans dommage pour le cadre de vie d’une part, et sans dégâts occasionnés sur les potentialités productives des écosystèmes d’autre part ?
Quels constats aujourd‘hui ? Malgré toutes les normes d’hygiène imposées, la nourriture est jugée mauvaise sur le plan diététique, la malbouffe, qui ne répond pas aux besoins physiologiques, fait débat constamment. Certaines pratiques agricoles, encouragées souvent officiellement, génèrent des pollutions, dégradent les sols provoquant une perte de la biodiversité, une surconsommation d’eau alors que cette ressource est devenue de plus en plus rare. Tout cela, dans un contexte de dérèglement climatique global de la planète, d’extension des villes sur les terres agricoles, de raréfaction et d’augmentation des produits issus d’énergies fossiles tels que pétrole, phosphates et enfin d’exode rural, de migrations vers les villes.
Une situation soutenable ?
Non, à vrai dire, comment croire qu’un tel modèle d’agriculture puisse être durable ?
Que demande-t-on, en effet, aux agriculteurs ? Produisez, produisez, mais des produits standards, des variétés spécifiques, dit l’agro-industrie qui fixe son cahier des charges. Produisez encore plus, équipez-vous, mécanisez vos manières de travailler, industrialisez vos élevages, robotisez vos salles de traite, débarrassez-vous de ce qui gêne, des autres plantes, de la faune qui pourrait déranger. Voilà, comme moyens, les pesticides, les herbicides, enlevez les cailloux, et mettez des engrais, beaucoup d’engrais pour produire plus vite et davantage. Investissez pour chacun de ces aspects mais surtout …. veillez à amortir au plus vite votre endettement, disent les banques ensuite.
Des conséquences regrettables :
De telles pratiques dictées de l’extérieur ont eu pour effet de provoquer une extension de la monoculture et, par voie de conséquence, une perte de la diversité des cultures. L’on voit des régions qui se spécialisent essentiellement dans la viande ou dans les céréales ; les circuits, les transports de produits pour rejoindre l’assiette du consommateur sont, en conséquence, bien plus longs. Dans la frénésie de produire plus, une véritable folie destructrice (dans l’usage intensif des ressources naturelles) s’est installée avec la suppression des haies dont on ne voit pas la fin. On connaît les conséquences : l’érosion, l’appauvrissement des sols et une disparition massive des auxiliaires de l’agriculture (insectes pollinisateurs et prédateurs de parasites pour ne citer qu’eux). Quant à l’essor des élevages industriels, avouons-le, il est objectivement difficile à maîtriser ; il provoque un surplus d’azote dans de nombreuses régions entraînant une dégradation de la qualité de la ressource en eau.
La surproduction dans les pays riches provoque un déséquilibre fatal sur nos marchés et parfois de façon encore plus dramatique chez les pays pauvres. Des pressions exercées par l’industrie-agro-alimentaire et la grande distribution, il en résulte des prix extrêmement bas, tellement bas qu’ils ne correspondent plus aux coûts de production. L’agriculteur, otage d’un système pernicieux pour lui, régulièrement confronté à la volatilité des prix, peine à amortir ses investissements et se retrouve de plus en plus souvent en situation de surendettement. Une situation injuste pour bon nombre de membres de cette communauté laborieuse.
Que faire ?
Des alternatives existent déjà mais l’important est de bien s’accorder sur de nouvelles orientations. Il est essentiel tout d’abord de développer des politiques agricoles de région associant culture et élevage et permettant de gérer en circuit court et de retrouver l’équilibre agronomique des sols. Remettre au goût du jour le principe de rotation des cultures est urgent. Si autrefois, on choisissait les plantes en fonction de leur adaptabilité au sol et du climat local, de leur rusticité, il faut redonner à l’agriculteur son droit de choisir ses variétés de produits ; il saura le faire en cherchant à profiter au mieux des éléments naturels, du soleil qui chauffe, de l’humidité des parcelles, de l’eau qu’il a à sa disposition, du fumier qu’il saura produire comme engrais pour entretenir le taux d’humus des sols et du travail des auxiliaires des cultures.
Moins d’investissement, sur des exploitations à échelle humaine en terme de superficie, une meilleure qualité des produits, une agriculture de qualité voire labellisée parfois, et avec des prix rémunérateurs assurant des revenus suffisants. Des dispositions que la grande majorité des agriculteurs aimerait voir enfin soutenues dans le cadre de la PAC.
Il y a donc lieu aujourd’hui et objectivement de remettre en cause le système agricole actuel ; vanter les mérites de l’agriculture bio qui a plus que triplé sa surface, serait trop restrictif. Comme Marc Dufumier, parlons plutôt de développer une agriculture intensivement écologique. « Techniquement, je suis optimiste » a-t-il conclu.

Post Author: Didier Dolé