Dans le dernier bulletin, Jacky AUBINEAU nous a rappelé les grandes lignes de l’histoire du bocage. Dans ce numéro et les suivants nous allons regarder de plus près le rôle des haies, sans oublier les aspects économiques et techniques. Dans un premier temps, nous allons analyser sa structure et ses composantes spécifiques tant pour la faune que pour la flore. Rappelons un bien triste constat : 2.500.000 km de haies sont disparues au cours des 50 dernière années en France ! Pour bien comprendre les conséquences désastreuses de cette évolution, nous allons commencer par prendre du recul afin de découvrir ce qu’est un écosystème bocager.
1-Le biotope et la biocénose
Avant de s’aventurer dans le milieu bocager, il est important de bien définir ce qu’est un écosystème. C’est l’adition de trois grands facteurs : le milieu, le climat, qui constituent le biotope, et les êtres vivants du monde végétal et du monde animal, qui représentent la biocénose. C’est ce que nous avons coutume d’appeler globalement « la nature ».
Cette nature est en fait l’imbrication d’une multitude d’êtres vivants qui cohabitent. Les relations entre la biocénose et le biotope ne sont pas simples. Un milieu naturel est le résultat de relations permanentes entre les composantes du biotope et de la biocénose. Les êtres vivants d’une même espèce, qu’il s’agisse d’animaux ou de végétaux, coexistant dans un biotope donné, forment un ensemble appelé population. Par exemple, dans un biotope forestier, nous trouverons des populations de chevreuils, blaireaux, renards, chênes, châtaigniers, etc… Dans la nature, dans un biotope déterminé, ces populations vivent en interaction les unes avec les autres, pour constituer des peuplements, des communautés végétales et animales.
Supprimer une famille d’espèces, en ajouter une nouvelle, modifier une composante du biotope (supprimer une haie, drainer ou combler une zone humide, modifier le lit d’un cours d’eau…), c’est déséquilibrer l’écosystème, c’est-à-dire changer les conditions de vie, et parfois même de survie, des peuplements. Ces conditions de vie sont en fait un équilibre biologique entre les êtres vivants ; entendons par là, bien évidement, les espèces animales et végétales, mais aussi l’espèce humaine.
Un biotope, défini par les caractéristiques de son sol et de son climat, forme, avec les peuplements présents et interdépendants (biocénose), un ensemble cohérent, fonctionnel, appelé l’écosystème.
2- La structure bocagère
Analysons maintenant, vu du ciel, notre écosystème bocager. Le bocage est facilement reconnaissable par son ossature typique constituée de haies, bosquets, mares, rivières, prairies, champs, petits villages et habitats dispersés. Bénéficiant d’un climat océanique, d’une bonne pluviométrie et de températures douces, c’est un paysage d’enclos verdoyants, vallonné, de faible altitude, implanté sur un socle granitique (le massif armoricain dans notre région) recouvert d’une couche de terre arable de faible épaisseur, donc très sensible à l’érosion en l’absence de haies (effets du vent et de la pluie). Comme nous l’a montré Jacky Aubineau, le bocage est un paysage agraire, résultant des évolutions conjuguées du milieu naturel et de la société rurale (polyculture et élevage).
3-La Haie, composante essentielle du bocage.
La composante essentielle de l’ossature bocagère est bien évidemment la haie. Elle se compose de différents étages de végétation. Elle est formée d’une strate arborée, d’une strate arbustive et d’une strate herbacée ou horizontale. Une véritable haie bocagère digne de ce nom est une haie plurispécifique, c’est-à-dire qu’elle possède toutes les strates mentionnées ci-dessus avec un mélange d’espèces autochtones. Dans la strate arbustive nous trouvons tous les arbres de haut jet (merisier, chêne, frêne, tremble, hêtre…), les arbres conduits en « têtard » (chêne, frêne…) et ceux en cépées (châtaignier, charme…). Le premier étage forme le squelette de la haie. Dans la strate arbustive nous trouvons nos arbustes caractéristiques comme le noisetier, l’aubépine ou encore le prunellier…Cet étage assure le remplissage de la haie ; c’est la musculature du squelette. La strate herbacée est composée de différents végétaux comme les ronces, les chèvrefeuilles, les fougères, le fragon et bien d’autres espèces comme les graminées, les primulacées et tous les bulbes. Ce dernier étage, avec ses plantes grimpantes, fournit les liens ; ce sont les tendons de la haie. La présence simultanée de ces trois strates est indispensable pour obtenir une haie en bonne santé, capable d’assurer toutes ses fonctions. Tous ces végétaux se complètent les uns les autres et constituent ainsi, non seulement une barrière verdoyante fonctionnelle, mais aussi un habitat idéal pour une faune spécifique.
4- la vie dans le bocage (la biocénose)
Les haies constituées d’essences variées d’arbres, d’arbustes et de plantes herbacées, représentent pour la faune un élément riche en aliments variés, mais aussi en habitats ; de plus, c’est un élément qui, de part sa structure linéaire, favorise le déplacement des populations (notion de corridor biologique). Ces déplacements indispensables ne peuvent être assurés qu’avec une continuité de la haie qui fonctionnera ainsi comme une forêt linéaire. Toutes les haies doivent donc être reliées les unes aux autres, sans interruptions, formant ainsi un maillage fonctionnel, condition indispensable pour la conservation de la biocénose.
La chaîne alimentaire est la clé de fonctionnement des écosystèmes. De multiples liens alimentaires existent entre les espèces. Aucun maillon n’est isolé dans ce réseau complexe. Les végétaux sont à la base de la chaîne : ils alimentent les herbivores qui seront à leur tour la proie des carnivores. Ces relations proies – prédateurs sont un élément important de la régulation des écosystèmes. La haie abrite aussi et nourrit une grande diversité d’insectes, proies des oiseaux insectivores. Par ailleurs les oiseaux prédateurs (rapaces) se nourrissent parfois d’oiseaux insectivores, mais surtout de petits rongeurs, évitant ainsi leur prolifération dans les champs. Tous les animaux vivant dans cette haie sont en étroite dépendance entre eux au sein de la chaîne alimentaire. D’ailleurs, l’homme, de tout temps, a su prélever dans la haie toute une variété d’aliments, des fruits aux gibiers. La conservation de la haie impose à l’homme des travaux d’entretien (dont nous reparlerons ultérieurement), qui lui permettront aussi de prélever du bois d’œuvre et du bois de chauffage.
Conclusion
Après ces premières notions d’écologie focalisées sur le bocage, nous devrions avoir une meilleure perception des liaisons importantes existant entre la faune et la flore. De part ses multiples fonctionnalités, que nous examinerons ultérieurement, le bocage est un paysage moderne, présent partout en Europe. Assurant un gîte confortable et un couvert bien garni le bocage assure la conservation de la faune sauvage, et par ses multiples fonctionnalités, se situe au carrefour d’intérêts majeurs pour l’homme, contribuant au développement d’une identité culturelle forte où la ségrégation animale et végétale n‘existe pas.