Conférence 26 novembre 2013 : « PESTICIDES, un scandale français »

Le sujet sent le soufre. N’empêche, 200 personnes sont venues écouter et interroger François Veillerette, en ce mardi 26 novembre, à La Griotte. Sans oublier les élèves des Sicaudières et de SèvrEurope qui l’ont entendu, dans le courant de l’après-midi, à Bressuire.
François Veillerette est président du Mouvement pour les droits et le respect des générations futures (MDRGF) et administrateur du réseau international Pesticide Action Network Europe (PAN’Europe). Il est également vice-président du Conseil Régional de Picardie, chargé de l’environnement, de l’alimentation et de la santé.
C’est précisément sur le thème Agriculture, pesticides, environnement et santé que François Veillerette intervenait avec force données à l’appui de son propos. Aborder une telle question en deux heures constitue un double défi. D’abord parce qu’il est impossible de rendre compte en si peu de temps « des centaines d’études publiées dans les revues scientifiques les plus prestigieuses [qui] montrent sans contestation possible que les pesticides, même à des doses infinitésimales, sont de graves poisons qui provoquent de nombreux cancers, bouleversent les systèmes immunitaire (1) et endocrinien (2) , limitent la fertilité, augmentent les risques de malformations intra-utérines (3). » Ensuite parce que se frotter à un tel sujet conduit nécessairement à remettre en cause une situation devenue folle car « l’histoire des pesticides en France est un scandale absolu. »

1-Système immunitaire : ensemble de cellules, de tissus et d’organes (globules blancs, tissu lymphoïde par exemple) qui assurent la défense de l’organisme contre les agents extérieurs.
2-Système endocrinien : ensemble constitué par les glandes endocrines (hypophyse, thyroïde, testicule, ovaire, pancréas, par exemple). Une glande endocrine déverse le produit qu’elle sécrète – une hormone – directement dans le sang. Les hormones assurent la régulation du fonctionnement de l’organisme parallèlement au système nerveux.
3-Les citations de cet article sont extraites du livre de Fabrice Nicolino et François Veillerette intitulé Pesticides, révélations sur un scandale français paru chez Fayard en 2007.

Pesticide, de quoi parle-t-on ? Le mot, imaginé en 1960, vient du latin pestis(4) qui veut dire fléau et du suffixe cide venant du latin caedere qui signifie tuer.
Tuer ! Déjà en 1915, le chlore était utilisé par les Allemands contre les troupes françaises tapies dans les tranchées près d’Ypres, en Belgique. Cité qui donna son nom à la triste ypérite – le fameux gaz moutarde – utilisée comme gaz de combat suffocant et vésicant. Les guerres sont de puissants accélérateurs technologiques. Ainsi c’est en Allemagne, en 1920, que fut inventé le zyklon B composé essentiellement de cyanure d’hydrogène ; initialement utilisé pour détruire les poux, il sera employé par les nazis pour anéantir les Juifs dans les chambres à gaz.
Entre 1914 et 1939, le chlore devient la base d’une chimie florissante, celle des organochlorés. Ces produits sont constitués à partir de molécules organiques dans lesquelles des atomes d’hydrogène sont remplacés par des atomes de chlore(5). Ils auront leur heure de gloire sur la période 1930-1970. Dès 1929 les PCB (le pyralène, par exemple, « cauchemar sanitaire, désastre écologique ») sont mis au point par Monsanto. Du Pont invente les CFC dans les années 1930 ; utilisés pour la réfrigération, on découvrira plus tard qu’ils détruisent la couche d’ozone, si protectrice. Vient ensuite le PVC synthétisé en 1936 ; il est la base aujourd’hui de nos bouteilles en plastique et est largement utilisé dans le domaine des travaux publics. Citons enfin le DDT, insecticide puissant et très toxique, qui apparaît en 1939 et qui fut interdit en 1972.
Les Américains nous ont libérés de la tutelle nazie et notre reconnaissance est immense, mais les firmes chimiques américaines se sont engouffrées dans la brèche pour développer leur commerce en Europe. Il y eut le Plan Marshall pour reconstruire. Dans le domaine agricole, c’est le modèle d’une agriculture mécanisée s’appuyant sur les engrais et les pesticides qui s’imposa. Il fallait faire vite, l’Europe avait faim(6) !
L’usage des pesticides s’est généralisé au cours du XXème siècle ; des milliers de produits de traitement sont utilisés. Résultat : les ravageurs et les maladies sont toujours là et parfois de façon aiguë car les résistances aux pesticides se sont développées concomitamment.
Cet usage intensif de « la béquille chimique des pesticides » provoque de graves effets collatéraux. En 1962, Rachel Carson s’en fera l’écho en publiant Printemps silencieux. Elle avait été alertée sur les effets destructeurs des épandages de DDT sur les oiseaux, plongeant la campagne environnante dans un silence de mort. Son livre paru en France en 1963 est préfacé par Roger Heim, alors directeur du Muséum d’histoire naturelle et président de l’Académie des sciences. Il écrit précisément : « On arrête les “gangsters”, on tire sur les auteurs de “hold-up”, on guillotine les assassins, on fusille les despotes – ou prétendus tels –, mais qui mettra en prison les empoisonneurs publics instillant chaque jour les produits que la chimie de synthèse livre à leurs profits et à leurs imprudences ? »
Roger Heim est un homme averti qui, dès 1952, publie Destruction et Protection de la nature. Dans cet ouvrage lumineux, il décrit la crise écologique qui vient. C’était il y a soixante ans ! Qui nous a parlé de cet ouvrage et de celui de Rachel Carson ? Et qu’avons-nous fait depuis(7) ?

4-Rappelons qu’en français une peste désigne aussi une personne ou une chose nuisible, néfaste ou dangereuse.
5-Selon le même principe, seront inventés les organophosphorés.
6- N’oublions pas que les tickets de rationnement ont été utilisés, en France, jusqu’en 1949.
7- Nous voyons ici confirmées de façon éclatante les vertus de l’information, de la vulgarisation et du débat que Sèvre Environnement s’efforce d’honorer car l’ignorance ne peut être ni une protection ni une ligne de conduite.

La France, en matière de pesticides, est un champion toute catégorie : premier utilisateur européen avec 80 000 tonnes annuelles en moyenne sur les trente dernières années (un tiers des quantités épandues en Europe) et troisième dans le monde. Elle est le premier utilisateur mondial par habitant ! 309 substances phytopharmaceutiques sont homologuées dans notre pays. L’agriculture se taille la part du lion (90 %) devant le jardinage (8 %) et l’entretien des espaces verts (2 %).
L’utilisation des pesticides est problématique dans la mesure où ils sont largement pulvérisés. Les produits pour une large part ratent leurs cibles et se perdent dans le sol, dans l’eau, dans l’air. Nous avons connu les pluies acides, nous connaissons désormais les pluies pesticides. Des pesticides ont été ainsi détectés dans l’air parisien et le lindane (anti-poux notoire) est encore présent dans certains appartements. Par ailleurs, n’oublions pas que les pesticides pénètrent aussi dans nos maisons par les chevaux de Troie que constituent nos chers animaux domestiques.
Concernant l’eau, 91 % des points de mesure sont touchés par les pesticides de même que 56 % des eaux souterraines (dont la moitié contient de l’atrazine). En 2010, en France, 2,5 millions d’habitants disposent d’une eau non conforme pour vivre décemment.
L’alimentation reste la source principale d’empoisonnement par les pesticides. Nous pouvons ingérer quotidiennement 128 résidus chimiques différents. Le PCB, produit isolant à l’origine, se retrouve dans les produits gras, notamment les fromages. Mais le pompon, c’est le saumon ; il recèle même de l’arsenic. Nous n’avons à ce jour aucune idée de l’effet de ces mélanges ingérés quotidiennement. Nous mettant à table, souhaitons-nous : « Bonne chance » plutôt que « Bon appétit » !
Une étude comparant des populations nourries avec des produits biologiques et d’autres populations ingérant des produits de l’agriculture intensive a montré que les premières renferment dans leurs tissus 223 fois moins de résidus chimiques que les secondes. Il y a là matière à réflexion et à décision.
La grossesse est une période sensible vis-à-vis de l’agression des pesticides, notamment lors des premiers mois. Ils sont fréquemment décelés dans le placenta et chez le fœtus. Une étude menée chez 308 femmes, en Espagne, a montré qu’elles présentent toutes en moyenne huit substances différentes qu’elles transmettent à leur bébé. A la naissance, les premières selles (le méconium) évacuées par le fœtus ont affiché des teneurs significatives en lindane, en PCB ou en DDT. Le bébé de 1 à 6 mois présente, dans ses selles, trois pesticides en moyenne.
Les pesticides sont des perturbateurs endocriniens en ce sens qu’ils singent les hormones ; 127 substances sont reconnues comme telles dont le glyphosate. Ces produits peuvent provoquer des déficits immunitaires, des problèmes de développement ou d’infertilité, par exemple. Les femmes enceintes, les nourrissons et les enfants lors de la puberté sont particulièrement sensibles à ces agresseurs. Une agression chimique qui survient à cette période de la vie peut avoir des conséquences sur le fonctionnement de l’organisme et sur sa structuration avec des effets transgénérationnels à long terme sur les descendants.
Les paysans sont naturellement plus exposés à certaines maladies (cancers de l’estomac, de la prostate ou de la vessie en particulier). Une leucémie infantile est six fois plus fréquente si la mère a utilisé des pesticides pendant la grossesse.
D’une manière générale les règlements autorisant la commercialisation des produits sont insuffisants ; il n’est pas tenu compte des synergies des produits ni des stades ou périodes critiques de leurs victimes potentielles (les risques encourus par les fœtus ne sont pas particulièrement pris en considération). Les matières actives sont testées mais pas les formules commerciales définitives. Or des adjuvants qu’elles contiennent peuvent participer à la toxicité des substances actives, mais ces adjuvants ne sont pas connus, protégés par le secret industriel. Quant aux mélanges, pratiqués à l’initiative des agriculteurs eux-mêmes, leurs effets sont peu connus à tel point qu’une expertise de l’INSERM datant de juin 2013 recommande d’approfondir la connaissance de la toxicité des pesticides utilisés en mélanges. Elle souligne la nécessité de prêter une attention particulière à la période in utero celle-ci étant particulièrement sensible à l’action des pesticides et les pathologies provoquées pouvant s’exprimer après un temps de latence plus ou moins long (toxicité différée). D’une façon générale, cette expertise confirme la dangerosité des pesticides qui imprègne largement les tissus des producteurs et des consommateurs.
Toutefois le plan Ecophyto 2018 doit conduire à une baisse de 50 % des quantités de pesticides utilisées d’ici dix ans en conformité avec le cadre législatif européen adopté en 2009. L’agriculture biologique doit se développer au point d’atteindre 20 % de la SAU en 2020 alors qu’elle ne représente que 3,7 % aujourd’hui en France; le chemin est long vers une production agricole irréprochable. Des alternatives sont possibles : le rapport de l’ONU intitulé « Agroécologie et droit à l’alimentation », rédigé par Olivier de Schutter et publié en 2011, suggère d’accroître la production par une meilleure maîtrise des techniques agronomiques et appelle à une véritable révolution agroécologique à l’échelle de la planète ; un grand chantier pour temps de crise !

En son temps, Jean de La Fontaine nous conta la fable des Animaux malades de la peste et nous livra sa morale empreinte d’un grand réalisme : « Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir. » Aujourd’hui François Veillerette, à sa manière, nous alerte sur les Hommes malades des pesticides et nous met en garde solennellement : selon que vous serez négligents ou vigilants, l’avenir sera toxique pour tous ou ouvert aux générations futures ; ces générations futures qui lui sont si chères.

Jean SAINT-DIDIER

Post Author: Didier Dolé