Changer de regard

«Changer de regard » par Jean-Claude Pierre

Rendons-nous à l’évidence : sur les questions qui se posent aujourd’hui à l’humanité pour gouverner sa « maison commune », la Terre, le consensus est loin de s’établir.

L’indifférence, la résignation, le déni, la fascination qu’exerce la techno-science, les séductions de la société de consommation, la course effrénée aux profits… Toutes ces réalités n’incitent pas à l’optimisme ceux qui s’inquiètent des atteintes à la nature et de l’avenir qui se dessine…

Un nouveau défi se présente à l’ONU. Elle qui peine tant, déjà, à mener, à remplir sa première mission qui est d’instaurer la paix sur la Terre, sera-t-elle en mesure d’en assumer une seconde, devenue aussi essentielle : conduire l’humanité à faire la paix à la Terre ?

Le phénomène de globalisation qui est à l’œuvre rend ces deux démarches indissociables, tant sont étroitement imbriquées les questions économiques, sociales, géopolitiques et économiques.

 

 

 

Mais soyons lucides : faire la paix à la Terre impose de rompre de manière radicale avec les principes utilitaristes et mercantiles qui amènent à traiter la planète comme une carrière, un gisement à exploiter selon les « lois du marché », livré au pillage (1) dans le cadre d’une économie qui n’a plus rien d’économe.

Une telle rupture n’ira pas de soi. On peut le constater aux Etats-Unis où des climatosceptiques viennent d’accéder aux plus hautes responsabilités. Ce processus régressif se profile aussi chez nous, ainsi qu’en attestent la remise en cause du « principe de précaution » et le fait que les néolibéraux les plus décomplexés n’hésitent plus à vouer à la vindicte des associations de protection de la nature, aux motifs qu’elles engagent les actions judiciaires qui découlent des principes mêmes de notre Constitution!

Les changements en profondeur qui s’imposent pour infléchir ces évolutions vont s’avérer difficiles à mettre en œuvre. Il y a en effet « tant de bras pour transformer ce monde, et si peu de regards pour le contempler… » Ce propos de l’écrivain Julien Gracq mérite notre attention. Il met le doigt sur un dualisme dont les conséquences s’aggravent au fur et à mesure que progressent les moyens utilisés pour exploiter la Terre. Pour l’exploiter au lieu de la cultiver avec sagesse et discernement, et même avec amour comme s’attachent à le faire, par exemple, les tenants de l’agro-écologie.

En 2017, le contexte s’y prête.  Nous devrions tous écouter davantage les artistes, les poètes et les humanistes, qui célèbrent la vie et la solidarité,  que les tenants d’un monde dans lequel la technique et la finance prennent chaque jour un peu plus le pas sur le culturel et l’environnemental. Changer de regard, c’est bien là en effet, sous son apparente simplicité, la condition nécessaire à la mise en œuvre de la transition dont l’urgence se précise un peu plus chaque jour.

Nous serons ainsi en capacité de « Choisir d’être humain » (2) comme nous y invitait l’agronome René Dubos qui, à la fin des années 1960, a joué un rôle décisif dans l’éveil de l’ONU aux questions environnementales.

Choisir d’être humain! La proposition peut surprendre, mais, que ce soit pour assurer un partage équitable des richesses entre les hommes ou que ce soit pour étendre notre approche de la solidarité à l’ensemble du « vivant », c’est bien davantage un supplément d’âme qu’un surcroît de technique dont nous avons besoin.

 

 

Post Author: Didier Dolé