Adhérents Sèvre Environnement éleveurs de bovins en Deux-Sèvres
par Roland BLANDIN
Le paysage a toujours été très marqué par l’évolution de l’agriculture au cours des âges. Notre territoire, situé sur les contreforts du Massif Armoricain, est vallonné avec un réseau hydrographique dense alimenté par de nombreuses résurgences de nappes phréatiques peu profondes. Ces éléments paysagers ont été déterminants dans la mise en place d’un modèle agricole basé sur l’élevage. Depuis le XIIIème siècle, les générations de paysans ont organisé l’espace dans le respect strict de la terre nourricière, des ressources en eau et en bois, ce qui a généré un mode de gestion de notre paysage par le bocage. Dans un premier temps, la haie est avant tout créée pour protéger les cultures contre le bétail en divagation. Ce n’est qu’au XIVème siècle que la haie prendra ses fonctions de clôture pour maintenir les troupeaux dans les prés. En plus, ce mode de gestion a permis de maintenir et d’enrichir les sols, de contribuer à une bonne qualité d’eau, de favoriser des microclimats favorables à l’élevage…Malheureusement, la loi d’orientation agricole de 1966, en organisant le remembrement, provoquera une destruction massive des haies avec tous les inconvénients qui en découlent. Mais fort heureusement, depuis la fin du siècle dernier, une génération de paysans éleveurs de bovins a pris cette évolution négative à contre-pied. Autrefois marginalisés, aujourd’hui ils sont de plus en plus nombreux sur notre territoire local et beaucoup sont adhérents de Sèvre Environnement. Cet été nous avons pu en rencontrer quelques-uns, certifiés en agriculture biologique, pour les interviewer sur leur métier de paysans éleveurs de bovins.
L’agriculture biologique constitue un mode de production qui trouve son « originalité » dans le recours à des pratiques culturales et d’élevage soucieuses du respect des équilibres naturels. Ainsi, elle exclut l’usage des produits chimiques de synthèse, des OGM, et limite l’emploi d’intrants. La loi d’orientation agricole de 1980 a officialisé ce mode d’agriculture avec un label français « AB ». Au niveau européen, l’agriculture biologique répond à un règlement moins contraignant (logo ci-joint).
Pour Laurent, éleveur à Moncoutant, installé avec son père en 1985 sur une ferme en agriculture conventionnelle de 45 ha : « Nous avions 45 vaches charolaises allaitantes, un atelier de caprins et, comme les voisins, nous faisions de l’ensilage de maïs et d’herbe pour nourrir le cheptel. En 1992, suite à des formations sur la désintensification des exploitations agricoles j’ai rencontré André POCHON nous montrant la voie d’une agriculture durable, autonome, économe et économiquement viable. A vrai dire, A.POCHON m’a empêché de dormir pendant plusieurs nuits! ». Six mois plus tard, Laurent démarrait une série de modifications profondes en semant ses premières prairies « Pochon », remplaçant ses Charolaises par des Parthenaises, arrêtant les chèvres et l’ensilage, remplaçant les taurillons par des bœufs… Finalement, en 1998 sa ferme était en conversion « AB » et elle obtenait la certification en décembre 1999.
Après une telle révolution, quel résultat pour Laurent? Voila son analyse : « Aujourd’hui j’exploite 54 ha, je n’ai plus que 30 vaches, ma ferme est autonome (je n’achète aucun aliment à l’extérieur). Mes animaux passent la plupart de leur temps dans les prairies, et avec la mise en place du pâturage tournant, leur santé est excellente. Je ne vois plus le vétérinaire ».
Et sur le plan économique ?
« Mes dépenses ont baissé très fortement, j’ai peu de stock de fourrage, un matériel restreint car je travaille avec la CUMA, peu de bâtiments à entretenir, pas de frais financiers…Sur le plan des recettes, suite à la rencontre avec un boucher en 2003, je lui vends la totalité de mes bêtes à un tarif intéressant et stable revu et négocié une fois par an. Globalement je suis très satisfait du résultat économique ».
Et la qualité de vie?
« Pour rien au monde je reviendrais à ma situation antérieure : moins de soucis, moins de stress, du temps pour m’occuper de mes enfants, fier et heureux d’être paysan. »
Bruno, quel est ton parcours ?
« Je me suis installé au Pin, à la suite de mon père en 1999, avec 65 vaches Charolaises plus les broutards, sur 54 ha en un seul îlot sans aucune route. L’alimentation était basée sur l’ensilage de maïs, le foin et l’achat de compléments. Et en 2000 est arrivée la crise de la vache folle !!!
Ce fut la catastrophe avec l’effondrement des cours. Pour me tirer d’affaire, dès 2001 j’ai démarré des veaux blancs sous des mères normandes.
En 2002, comme Laurent, j’ai rencontré Dédé POCHON et j’ai entamé la même révolution sur mon exploitation : implantation de prairies multi-espèces, baisse progressive du maïs, fin des traitements chimiques, replantation de 3 km de haies. Tous ces changements m’ont permis de signer un « Contrat Agriculture Durable » et finalement d’obtenir la certification « AB » en 2009. »
Où en es-tu aujourd’hui ?
« J’ai 40 vaches, un élevage de bœufs et j’ai maintenu l’élevage de veaux sous la mère. Je suis autonome pour l’alimentation de mon troupeau. Je fais pâturer mes 30 ha de prairies naturelles, je cultive un mélange de céréales (triticale, avoine, pois) ainsi que des betteraves et de la luzerne pour compléter la ration.».
Et sur le plan économique ?
« Comme Laurent j’ai diminué considérablement mes dépenses et limité mon stock. Pour mes recettes, je vends mes produits à un groupement d’achats et un peu de vente directe (4 veaux par an et les futurs agneaux) ».
As-tu des projets?
« Dans un futur proche, je veux encore réduire le nombre de vaches pour rester à 30 têtes, en diversifiant mon élevage avec un troupeau de 50 brebis. J’ai aussi laissé 1,7 ha de foncier pour implanter un verger ».
Dominique, ton parcours est-il différent ?
« Oui. Au départ, Je m’étais installé sur la petite ferme familiale à Sant Aubin de Baubigné avec un troupeau de Charolaises, Puis en 1991, j’ai repris la ferme de mon beau père (28 ha), située à Montravers en bordure de Sèvre Nantaise, ainsi que 18ha d’une ferme voisine. Ces terres étaient beau-coup plus propices à l’élevage. Aujourd’hui je dispose de 68 ha dont 65 de prairies.»
Ton passage en bio date de quand ?
« J’ai toujours élevé mes bovins à l’herbe, et quand je suis arrivé ici, avec de superbes prairies en bordure de Sèvre. C’était bien plus facile. Au fond de moi-même j’ai toujours voulu fournir sur le marché une viande de qualité et sans risques sanitaires pour le consommateur. Car, j’ai toujours été préoccupé par des pro-blèmes de santé et de pollutions dont on entendait parler de plus en plus. C’est pourquoi en 2004 j’ai voulu obtenir la certification « AB » pour faire reconnaître la qualité de mon élevage et de mes produits. »
Es-tu satisfait aujourd’hui ?
« Je suis très satisfait, et très heureux! Mon troupeau de 45 vaches passe la quasi-totalité de son temps dans les prés, sans problèmes de santé. Je leur rends visite quotidiennement, et j’en profite pour surveiller de près l’apparition de limnées, mollusque porteur de parasites dont la douve. Je ne cultive que 3 ha de céréales panifiables, que je vends à mon voisin, et je garde la paille. Je suis totalement autonome avec très peu de charges, de matériel et de bâtiments. J’ai très peu de fumier à épandre ; comme dit Dédé POCHON : « la vache est un animal fabuleux avec une barre de coupe à l’avant et un épandeur de fumier à l’arrière ». La totalité de ma production est vendue au groupement d’achat UNEBIO. Mon fils va bientôt terminer ses études avec un BTS-ACSE et reprendra la ferme.
A toi Gaël de nous faire connaître ton activité.
« En 2008 j’ai repris les 25 ha de la ferme familiale de Puy Gazard à Combrand, spécialisée en volailles. En même temps, j’ai aussi repris 50 ha, avec un troupeau de Limousines, de la ferme des Roches Blanches au Pin. J’ai été très gâté car ces deux fermes étaient déjà certifiées « AB » .
Comment gères-tu cet ensemble ?
« Contrairement à mes parents j’ai réduit la production de volailles, donc réduit les cultures de céréales ,et augmenté la part de prairies. Mon objectif est de conserver, sur mes 75 ha, un point d’équilibre favorable entre la volaille, la culture et le bovin. Mon but avec les bovins est de valoriser au maximum mes produits en ne vendant que des animaux destinés à la viande : bœuf, génisse et vache de réforme. Je ne fais que revenir à l’élevage traditionnel qui nous permet de rester maître sur l’ensemble du cycle de production de viande, avec toute sa valeur ajoutée, et en fournissant de la qualité au consommateur. Moi aussi je vends 75% de mes bêtes à UNEBIO et le reste en vente directe trois fois l’année. Voilà où j’en suis, je gère mon temps sans avoir de comptes à rendre, fier et heureux d’être paysan ».
Du long entretien que nous avons eu avec ces quatre éleveurs de bovins certifiés « AB », il ressort clairement qu’ils sont tous très satisfaits de leur activité. Ils se sentent tous maîtres de leur ferme et apprécient les résultats économiques de leurs propres décisions et de leur travail. Leurs fermes, toutes autonomes sont ainsi à l’abri des aléas d’origine externe. A juste raison, ils sont tous fiers de leur statut de paysans éleveurs car ils sont respectueux de l’environnement patrimoine de l’humanité, et soucieux de la santé des consommateurs qui les font vivre. Nous tenons à souligner un aspect qui nous a frappés : ils se connaissent tous sur un large territoire, ils sont très solidaires, ils communiquent beaucoup entre eux et partagent leur expérience. Par ailleurs, ils sont en contact permanent avec différents organismes spécialisés dans leur domaine (CIVAM, AGROBIO79, GRAPEA, CEDAPA d’André POCHON…). Bien noter qu’aucun d’eux ne voit de difficultés pour transmettre sa ferme.
Nous devons tous prendre conscience du fait que l’agriculture qu’ils pratiquent préserve les prairies naturelles et les haies bocagères essentielles pour la protection de nos ressources en eau, des sols et de la biodiversité, biens communs de l’ensemble de la population. Les sols qu’ils cultivent sont redevenus des terres nourricières de façon durable pour les générations qui suivront. Ces éleveurs ne sont pas des exploitants agricoles mais bien des paysans défenseurs de leur pays.
Nous sommes bien loin des concepts des fameux élevages hors-sol…
Avec eux, la mémoire paysanne en Bas-Poitou retrouve sa place aujourd’hui, et nous apporte le vrai progrès.