Un écologue tricentenaire

« L’étude de la nature nous détache de nous-mêmes et nous élève à son auteur. C’est en ce sens qu’on devient vraiment philosophe ; c’est ainsi que l’histoire naturelle et la botanique ont un usage pour la sagesse et la vertu. »
En 2012, voila une réflexion qui surprend et interpelle. En effet, aujourd’hui plus que jamais, nombreux sont ceux qui s’interrogent sur les questions environnementales et cherchent à comprendre et évaluer la réelle importance d’une nature saine et belle dans notre monde dominé par des préoccupations majeures concernant l’évolution des activités économiques. Mais quels sont ceux qui ne voudraient pas concilier économie et environnement, richesse et santé, consommation et bonheur ? Finalement, la recherche de la sagesse et de la vertu ne nous ferait-elle pas voir l’environnement sous un œil nouveau ?

L’écologue, auteur de la phrase que je viens de citer a quitté ce monde le 2 juillet 1778. Il était né à Genève le 28 juin 1712, il y a donc trois cents ans. Nous le connaissons tous, mais l’avons quelque peu oublié : c’est notre Jean-Jacques ROUSSEAU.

A 16 ans il parcourt les routes de Savoie et admire les paysages alpestres avant d’être recueilli, à Annecy, par Madame de Warens. Chez sa protectrice il comble les lacunes d’une éducation longtemps négligée. Plus tard il rencontrera Diderot à Paris avant d’écrire Les Confessions. D’un coup, Rousseau avait pris conscience du paradoxe qui fera l’unité de toute sa pensée : « l’homme est bon et heureux par nature ; c’est la civilisation qui l’a corrompu et qui a ruiné son bonheur primitif ». A cette époque, VOLTAIRE et les philosophes chantaient le luxe, le progrès matériel qui engendre le progrès moral et conditionne le bonheur. Au moment où L’Encyclopédie de Diderot symbolise cette foi dans la civilisation, Rousseau soutient que le progrès corrompt les mœurs, que le bonheur est dans la vie simple, que la vertu dépend non de la science mais de la conscience. Quelle audace !
Dans nos mémoires Jean-Jacques ROUSSEAU est enregistré comme un écrivain philosophe alors qu’il a été actif dans de multiples domaines. De son propre aveu, c’est la copie de musique et les compositions qui auront été sa principale source de revenus. Mais c’est la botanique qui fut l’affaire de sa vie. Il échangeait avec les grands botanistes de son époque : Buffon, Carl Von Linné, Bernard de Jussieu, Lamarck…Son buste se trouve au jardin botanique de Genève. La veille de sa mort il herborisait encore dans le parc d’Ermenonville.
Jean-Jacques ROUSSEAU fut aussi précepteur des enfants ou des petits-enfants de ses bienfaiteurs. Il écrivit des « Lettres élémentaires sur la botanique » pour de très jeunes élèves, mais en véritable pédagogue, par ce moyen, il éduque aussi les parents. C’est ainsi qu’il fut logiquement entraîné à exposer les principes d’une éducation conforme à la nature, écrivant entre 1757 et 1760, « Emile ou de l’éducation » qui parut en 1762. Jean-Jacques avait 50 ans. Sa philosophie confère à ses principes et à sa méthode une indéniable cohérence. Beaucoup de conseils dérivent de sa propre expérience. Ayant exercé plusieurs métiers, il sait tout ce qu’on peut apprendre par l’observation, tout le prix d’une formation pratique par l‘observation directe au contact des choses. Il sait aussi ce qui lui a manqué : une éducation méthodique. Parfois même ce livre de pédagogie tourne à la confidence émouvante. Rousseau lui-même nous invite à considérer l’ouvrage comme les rêveries d’un visionnaire sur l’éducation. Néanmoins, l’Emile contient beaucoup d’idées excellentes : l’adaptation de l’enseignement aux facultés de l’enfant, la portée de la connaissance sensible et du travail manuel, les vertus de l’observation, l’enseignement actif, l’incidence des méthodes pédagogiques sur la formation morale. L’Emile eut un grand retentissement auprès de ses contemporains. On y retrouve d’ailleurs bien des réponses à des questions qui sont posées aujourd’hui.
Rousseau avait observé et analysé la société de ce siècle des lumières et perçu les dangers d’un progrès matériel démesuré éloignant l’homme de la nature ; à tout instant il met en garde contre des méthodes qui seraient efficaces mais risqueraient de rompre l’équilibre et l’harmonie entre l’homme et le milieu naturel. « Tout est bien sortant des mains de l’Auteur des choses, tout dégénère entre les mains de l’homme».
Bien évidemment, les idées de Jean-Jacques ROUSSEAU n’étaient pas pour plaire aux chantres du progrès sans limites. Au cours des dernières années de sa vie il sent bien que les grands et les puissants de la société se sont ligués contre lui en un vaste complot. Persuadé qu’on ne lui permettra même pas de transmettre aux générations futures une image exacte de sa personne et de sa pensée, il se résigne et trouve enfin l’apaisement dans la retraite et l’oubli des hommes. De 1776 à 1778, pour lui-même, pour son amélioration morale et son plaisir, il écrit les Rêveries du Promeneur Solitaire, qui seront publiées après sa mort en 1782. Ces dix promenades constituent son œuvre la plus sincère. Il se livre à un examen de conscience d’une précision minutieuse. Ces analyses concernent la morale et la religion, le mensonge, le bonheur, la bonté , les bienfaits de la solitude, et l’amour du prochain. De ces pages lumineuses, si justement célèbres, émane toute une philosophie du bonheur, liée à la bonté originelle de l’homme : bonheur de faire du bien à autrui, bonheur de jouir de notre être selon ce que la nature a voulu.

Post Author: Didier Dolé