Conférence Christian VELOT : « OGM : tout s’explique »

Pour une appropriation citoyenne de la science
par Jean SAINT-DIDIER

En ce vendredi 9 novembre(1), grâce à une pédagogie dynamique, Christian Vélot(2) a su conduire l’auditoire sur le chemin(3) du questionnement ; le questionnement des OGM, Organismes Génétiquement Modifiés. En cette soirée dense, le public attentif a pu vérifier toute la puissance dont la pédagogie de la question est porteuse. Alors que la réponse, dans une certaine mesure, clôt le débat, la question renouvelée ne cesse de l’étendre jusqu’aux dimensions du monde. Elle l’ouvre aux problématiques de nos sociétés, au champ de nos responsabilités, et finalement au sens de la vie que nous vivons. Tout simplement. Tel est le chemin par lequel, Christian Vélot a conduits le public, soucieux de l’associer à la compréhension de son propos, tant il est vrai que les réponses successives à apporter aux lourds défis posés par les OGM seront des constructions collectives. Elles ne peuvent, en effet, rester l’apanage des seuls détenteurs de la connaissance scientifique.

La définition officielle d’un Organisme Génétiquement Modifié dit qu’il s’agit d’un organisme vivant – un microbe, une plante ou un animal – ayant subi une modification non naturelle (c’est-à-dire suite à une intervention humaine) de ses caractéristiques génétiques initiales, par ajout, suppression ou remplacement d’au moins un gène.(4) Cette définition vaut pour tous les OGM, quels qu’ils soient et quel que soit leur domaine d’utilisation ou d’application (recherche fondamentale, médecine et pharmacie, agroalimentaire).

Une autre définition, plus restrictive, qui correspond à la quasi-totalité des OGM du secteur agricole, dit qu’un OGM est un organisme vivant dans lequel on a introduit, de façon non naturelle, au moins un gène provenant d’une espèce à laquelle il n’appartient pas. Par exemple, si on introduit un gène de poisson dans la fraise, la fraise est un OGM ; un gène de bactérie dans le maïs, le maïs est un OGM ; un gène humain dans une bactérie, la bactérie est un OGM. Ces OGM particuliers sont appelés organismes transgéniques car les gènes étrangers qu’ils hébergent – et qui proviennent d’un organisme donneur – sont appelés des transgènes. La transgenèse est alors l’ensemble des procédés permettant de fabriquer ce type d’OGM.

Partant de là, Christian Vélot distingue plusieurs types de situations dans lesquelles les OGM sont mis à contribution :

O En recherche fondamentale,(5) dans le domaine de la biologie, la technologie OGM existe depuis 1975. Elle y est utilisée de manière habituelle dans les laboratoires. La recherche fondamentale, en génétique moléculaire, s’appuie sur deux grandes démarches. La première consiste à rechercher le(s) gène(s) lié(s) à une fonction donnée. La seconde démarche, inverse, permet de rechercher la ou les fonction(s) d’un gène qui a été préalablement identifié. Dans chacune de ces deux grandes démarches, la technologie OGM fait partie des outils classiques auxquels ont recours les biologistes.

O En médecine, la production de protéines d’intérêt pharmaceutique – appelées “protéines-médicaments” – utilise largement la transgenèse. Ainsi, cette technique est employée pour produire de l’insuline(6) une hormone permettant de traiter les diabétiques insulino-dépendants. L’insuline est la première “protéine-médicament” produite au moyen de la technologie OGM. Le gène humain détenant le secret de fabrication de l’insuline a été identifié il y a quarante ans. Ce gène prélevé chez un homme a ensuite été introduit dans une bactérie (Escherichia coli) cultivée à échelle industrielle (dans un fermenteur de 600 litres, à une température de 37°C, celle du corps humain). Après plusieurs jours, on obtient de grandes quantités (des kilos) de cellules bactériennes contenant le gène humain de l’insuline. Ces cellules prennent ce gène à leur propre compte, le décodent et fabriquent ainsi l’insuline humaine. Ces cellules sont alors broyées pour en extraire l’insuline qui, ensuite, est purifiée, conditionnée sous forme de médicaments et administrée à des diabétiques insulino-dépendants. C’est de cette manière qu’est fabriquée depuis 1982 l’essentiel de l’insuline disponible en pharmacie

O En industrie et, notamment en industrie agroalimentaire, de nombreuses enzymes(7) sont utilisées comme additifs dans l’élaboration ou la conservation de produits alimentaires, qu’il s’agisse de l’alimentation animale, des industries des boissons dont celle de la brasserie, de l’industrie laitière et fromagère, de l’industrie des produits carnés ou encore des industries de cuisson.

C’est également le cas de l’industrie textile, de l’amidonnerie, des fabriques de papier et de l’industrie des détergents. Les enzymes en question sont d’origine microbienne, animale ou végétale. Citons, par exemple, la chymosine (présure), une enzyme extraite de la caillette de veau non sevré pour faire cailler le lait lors de la fabrication des fromages. C’est aussi le cas de la trypsine pancréatique de porc ou du lysozyme extrait du blanc d’œuf. La technologie OGM permet de produire ces protéines végétales, animales ou microbiennes dans des micro-organismes génétiquement modifiés, couramment utilisés en laboratoire et cultivés à grande échelle dans des fermenteurs.

O En agriculture, cela concerne essentiellement les “plantes-pesticides” c’est-à-dire qui accumule des pesticides dans leurs cellules. Plus de 99% des plantes génétiquement modifiées actuellement cultivées à la surface de la planète sont des “plantes-pesticides”. Il s’agit soit de plantes qui produisent elles-mêmes l’insecticide leur permettant de lutter contre un insecte ravageur (plantes Bt(8), 18%), soit de plantes capables d’absorber un herbicide sans mourir (plantes Roundup-Ready®(9) ou Liberty- Link®, 63%), soit encore de plantes qui réunissent les deux propriétés (19%).

A ce stade, Christian Vélot souligne des différences essentielles existant entre tous les OGM dont il a été question précédemment.

D’une part, les OGM utilisés en recherche fondamentale, en médecine et pharmacie et en industrie sont développés et utilisés exclusivement en espaces confinés. De plus, dans ces secteurs, ils sont utilisés non pas comme une fin en soi, mais comme des moyens pour arriver à une fin. Ce ne sont que des outils. En recherche fondamentale, les OGM ne sont que des “éprouvettes biologiques”. De même, ce n’est pas la bactérie produisant l’insuline qui nous intéresse et qu’on va se procurer en pharmacie, mais l’insuline elle-même dont l’extraction et la purification impliquent que l’on tue les bactéries transgéniques en question. Dans l’industrie, enfin, les OGM sont utilisés comme des usines pour fabriquer des enzymes spécifiques et sont multipliés uniquement en espaces clos. Cela ne signifie pas, cependant, que le recours à la technologie OGM dans ces différents domaines ne pose aucun problème.

D’autre part, les OGM utilisés dans l’agroalimentaire sont destinés à être disséminés dans l’environnement jusque dans nos assiettes. Cette réalité pose des questions nouvelles d’ordres environnemental et sanitaire. Dans ce cas, les OGM ne sont plus un moyen pour arriver à une fin, mais ils sont une fin en soi. Ils ne sont plus utilisés comme des outils mais comme des organismes à part entière : les plantes agricoles génétiquement modifiées (PGM) ont exactement le même devenir que leurs homologues non transgéniques. Elles sont cultivées de la même manière. Selon Christian Vélot, « cette différence fondamentale soulève des questions nouvelles, d’ordre éthique, agricole, économique bien sûr, mais également d’ordre environnemental et sanitaire, et auxquelles on se doit d’être en mesure de répondre. En particulier, le fait que ces OGM soient utilisées comme organismes à part entière implique que l’on soit en mesure de maîtriser parfaitement les conséquences des modifications génétiques, d’une part sur la plante elle-même et ses répercussions dans la chaîne alimentaire, et d’autre part sur ses interactions avec l’environnement ». En conséquence, selon le scientifique, « il est extrêmement malhonnête d’amalgamer(10) toutes les catégories d’OGM, indépendamment de l’avis que l’on peut avoir sur chacune d’elles ».

Enfin, notons que les risques sanitaires et environnementaux liés aux OGM agroalimentaires sont variés ; ils concernent le devenir de l’insecticide dans la chaîne alimentaire et dans l’environnement, l’effet des plantes insecticides sur la faune, la sélection d’insectes résistants à l’insecticide et, d’une manière générale, les impacts sanitaires et environnementaux à long terme. Les risques de contamination génétique sont réels (le gène introduit volontairement dans une plante peut se retrouver involontairement dans une autre ou dans un autre organisme. On distingue la contamination verticale (des individus parents vers les individus enfants) donc par reproduction sexuée (pollinisation) et la contamination horizontale (transfert direct de matériel génétique entre deux organismes, sans croisement, par exemple entre plantes et micro-organismes du sol, ou encore d’une plante à une autre via les virus.

En définitive, Christian Vélot, par son discours et sa méthode, a séduit son auditoire au sens strict du mot, c’est-à-dire qu’il l’a amené à effectuer un pas de côté. Il l’a provoqué – c’est peu dire ! – à faire un écart, ce type d’écart qui fait la différence et crée le point de vue, un point de vue rénové. Tout cela pour une cause brûlante, celle de « la réappropriation citoyenne de la science ».


1 Salle de la Griotte, Cerizay

2 Docteur en biologie, Maître de Conférences en génétique moléculaire à l’Université Paris-Sud

3 La pédagogie, rappelons-le, n’est rien d’autre, étymologiquement, que le « voyage des enfants », si l’on en croit Michel Serres s’exprimant ainsi dans Le Tiers-Instruit, Editions François Bourin, 1991.

4 Les gènes sont des segments de chromosomes détenant l’information qui permet à la cellule de fabriquer une ou plusieurs protéines.

5 La recherche fondamentale a pour but de comprendre « comment ça marche ». Sa mission est d’acquérir des connaissances indépendamment de toute autre finalité, de toute autre application.

6 L’insuline est une hormone fabriquée par le pancréas et qui permet de réguler le taux de sucre dans le sang (glycémie). Quand le taux de sucre augmente dans le sang (après un repas par exemple), la fabrication d’insuline ramène la glycémie à un taux normal. Les diabétiques sont victimes d’une déficience d’insuline.

7 Protéines douées d’une activité biologique particulière. Les enzymes sont les catalyseurs biologiques des réactions chimiques (donc biochimiques) qui ont lieu dans les cellules de tout organisme vivant.

8 C’est le cas du maïs Bt qui lutte contre la pyrale.

9 Par exemple, le soja Roundup-Ready® appelé communément “soja au Roundup”.

10 Cette pratique est courante dans les médias s’adressant au grand public, en un temps souvent très court. Christian Vélot invite à la vigilance en la matière.



Post Author: Didier Dolé