Le rapport établi par Olivier de Schutter, Rapporteur spécial pour le droit à l’alimentation auprès du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, « étudie la manière dont les Etats peuvent et doivent réorienter leurs systèmes agricoles vers des modes de production hautement productifs, hautement durables et qui contribuent à la réalisation progressive du droit fondamental à une alimentation suffisante » selon les propos mêmes du Rapporteur spécial.
Dans un premier temps, Olivier de Schutter situe les trois objectifs à poursuivre pour voir se réaliser le droit à une alimentation suffisante pour tout homme. Ensuite, présentant l’agroécologie, il la situe à la fois comme une science et comme un ensemble de pratiques. Puis il en vient à détailler les cinq dimensions de l’agroécologie qui font d’elle, à moyen terme, la réponse la plus pertinente pour traiter la problématique complexe du droit à l’alimentation pour tous. Enfin, il mentionne les cinq principes sur lesquels s’appuyer pour voir se développer les techniques agroécologiques.
1 – Trois objectifs fondamentaux
La réalisation du droit à l’alimentation pour tous requiert que trois objectifs soient poursuivis :
– Les systèmes alimentaires doivent garantir une nourriture disponible pour tous c’est-à-dire que l’offre doit répondre aux besoins mondiaux. Pour qu’il en soit ainsi, la production agricole mondiale devrait augmenter quantitativement de 70 % d’ici à 2050. Aujourd’hui, près de la moitié de la production mondiale de céréales sert à fabriquer de la nourriture pour animaux. Un argument est décisif : on estime que « la perte en calories due au fait de donner des céréales aux animaux plutôt que de les utiliser directement pour nourrir les humains est équivalente aux besoins annuels en calories de plus de 3,5 milliards de personnes. »
– L’agriculture doit être développée de manière à accroître les revenus des petits exploitants. La disponibilité de l’alimentation est un problème qui se pose au niveau des ménages et la faim est due d’abord à la pauvreté et non pas à des stocks trop bas. Le meilleur moyen de combattre cette pauvreté est d’augmenter le revenu des plus pauvres. Et Olivier de Schutter de préciser : « les comparaisons entre pays montrent qu’une augmentation du produit intérieur brut (PIB) provenant de l’agriculture est au moins deux fois plus efficace pour réduire la pauvreté qu’une augmentation imputable à d’autres secteurs. »
– L’agriculture ne doit pas compromettre sa capacité à satisfaire les besoins futurs. « La perte de la biodiversité, l’utilisation déraisonnable de l’eau et la pollution des sols et de l’eau font que les ressources naturelles risquent de ne pas pouvoir continuer à soutenir l’agriculture. » Par ailleurs, le changement climatique produit déjà ses effets (sécheresses, inondations) et la quantité d’eau douce disponible pour la production agricole diminue.
2 – L’agroécologie, une science et un ensemble de pratiques
L’agroécologie associe deux disciplines complémentaires, l’agronomie et l’écologie. Elle repose sur les principes fondamentaux suivants :
– Le recyclage des éléments nutritifs et de l’énergie sur place plutôt que l’introduction d’intrants extérieurs.
– L’intégration des cultures et du bétail.
– La diversification des espèces et des ressources génétiques des agroécosystèmes dans l’espace et le temps.
– L’accent mis sur les interactions et la productivité à l’échelle de l’ensemble du système agricole plutôt que sur des variétés individuelles.
– L’utilisation de nombreuses connaissances et de techniques variées mises au point à partir de l’expérience des agriculteurs eux-mêmes.
En sa qualité de science, elle est « l’application de la science écologique à l’étude, à la conception et à la gestion d’agroécosystèmes durables. »
En tant qu’ensemble de pratiques agricoles, « l’agroécologie recherche des moyens d’améliorer les systèmes agricoles en imitant les processus naturels, créant ainsi des interactions et des synergies biologiques bénéfiques entre les composantes de l’agroécosystème. » Par voie de conséquence, elle améliore la résilience et la durabilité des systèmes alimentaires.
3 – Les cinq dimensions de l’agroécologie
31 – Disponibilité : l’agroécologie accroît la productivité au niveau local
Il s’agit de maintenir ou d’améliorer la biodiversité agricole pour obtenir les résultats souhaités en matière de productions disponibles (en qualité et en quantité) et de durabilité des systèmes mis en œuvre conciliant fixation de l’azote et lutte contre l’érosion.
La stratégie répulsion-attraction – dite « push-pull » – utilisée contre les insectes et les plantes qui endommagent les cultures participe de cette logique. Il s’agit de chasser les insectes en plantant entre les rangées de maïs des plantes répulsives (le Desmodium) tout en les attirant vers une autre plante (le napier) qui produit une matière gluante qui leur est fatale. Cette stratégie, utilisée au Kenya, double le rendement du maïs.
32 – Accessibilité : l’agroécologie réduit la pauvreté rurale
En augmentant la fertilité au niveau de l’exploitation, par l’utilisation d’effluents d’élevage ou de culture, l’agroécologie diminue la dépendance des agriculteurs à l’égard des intrants et des subventions de l’Etat.
Ainsi, en Zambie et au Malawi, c’est Faidherbia albida, variété d’acacia fixant l’azote de l’air, qui a permis une multiplication par trois des rendements en maïs.
Au Burkina-Faso, plus de trois millions d’hectares de terres agricoles ont été réhabilités et sont désormais productifs grâce à l’agroforesterie.
33 – Adéquation : l’agroécologie contribue à l’amélioration de la nutrition
Les trois principales céréales produites dans le monde, le maïs, le blé et le riz sont surtout des sources d’hydrates de carbone ; elles contiennent peu de protéines et une faible variété de nutriments essentiels. Des systèmes agricoles basés sur des céréales ont ainsi contribué à une déficience en micronutriments dans de nombreux pays en développement.
« De fait, alors que plus de 80 000 variétés de plantes sont disponibles pour les humains, le riz, le blé et le maïs constituent l’essentiel de nos sources de protéines et d’énergie. » Les nutritionnistes recommandent l’utilisation d’une plus grande diversité de plantes afin de pouvoir bénéficier de nutriments plus variés.
34 – Durabilité : l’agroécologie facilite l’adaptation au changement climatique
Le changement climatique se traduit par l’augmentation du nombre d’événements météorologiques extrêmes. L’utilisation de techniques agroécologiques peut atténuer les effets négatifs de ces événements car la résilience des milieux est renforcée par la mise en œuvre et la promotion de la biodiversité agricole.
Sécheresses et inondations vont se développer. L’agroécologie aide à encaisser ces chocs. Par ailleurs, le mélange des cultivars et des espèces préconisé par l’agroécologie améliore la résistance des cultures en limitant l’expansion des ravageurs et des maladies.
35 – Participation des agriculteurs : un atout pour diffuser les pratiques
La participation des agriculteurs est essentielle au succès des pratiques agroécologiques. Ainsi, la réussite de la diffusion de la stratégie répulsion-attraction, développée pour lutter contre les insectes ravageurs en Afrique orientale, est largement due aux démonstrations faites sur le terrain par des agriculteurs eux-mêmes et devant d’autres agriculteurs.
4 – Principes et recommandations
Pour Olivier de Schutter, qui s’exprime dans un ultime chapitre, le développement des pratiques agroécologiques passe par le respect des cinq principes suivants :
Accorder la priorité aux biens publics.
Investir dans le savoir.
Renforcer la cohésion sociale par la coconstruction.
Autonomiser les femmes.
Organiser les marchés.
Les Etats devront mettre en œuvre des politiques publiques qui appuient l’adoption de pratiques agroécologiques par les moyens suivants :
La référence permanente à l’agroécologie et à l’agriculture durable dans les stratégies nationales pour la réalisation du droit à l’alimentation.
La fourniture de biens publics tels que les services de vulgarisation, les infrastructures rurales et la recherche agricole.
L’appui à la recherche participative décentralisée.
L’amélioration de la capacité d’accès aux marchés des producteurs qui pratiquent l’agriculture durable.
Les donateurs seraient avisés de soutenir :
L’appui des politiques de développement des méthodes agroécologiques.
La coopération Sud-Sud et Nord-Sud.
L’encouragement des approches participatives, de la coconstruction dans la recherche, la vulgarisation et les politiques publiques.
Le recensement et la diffusion des meilleures pratiques en agroécologie.
Quant à la communauté des chercheurs, il lui faudrait accompagner :
L’accroissement du budget alloué à la recherche agroécologique sur le terrain.
La formation de scientifiques à la mise au point de méthodes agroécologiques.
L’évaluation des projets.
Présentant son rapport devant le Conseil des droits de l’homme de l’ONU, le mardi 8 mars 2011, Olivier de Schutter achevait son exposé par une phrase sans appel : « Nous devons aller vite si nous voulons éviter une répétition continue des crises alimentaires et climatiques au cours du XXIème siècle. »